Feu vert de la justice britannique aux expulsions vers le Rwanda

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/20/la-haute-cour-britannique-declare-legales-les-deportations-de-demandeurs-d-asile-vers-le-rwanda_6155117_3210.html

En avril, le gouvernement conservateur de Boris Johnson avait choqué en scellant un accord avec Kigali pour y renvoyer des migrants « illégaux »

Cécile Ducourtieux et Lucie Mouillaud (à Kigali), Le Monde du 21 décembre 2022

Déception du côté des ONG, soulagement du côté du gouvernement britannique : lundi 19 décembre, la Haute Cour de justice pour l’Angleterre et le Pays de Galles a conclu que la décision de Londres d’expulser au Rwanda des personnes demandant l’asile au Royaume-Uni était « légale » . Le fait que leurs demandes d’asile soient examinées par les autorités rwandaises et non par les autorités britanniques est également jugé légal.

Le gouvernement britannique ayant pris des dispositions avec Kigali pour que les demandes d’asile soient « correctement » examinées au Rwanda, les juges ont considéré que le Royaume-Uni ne violait ni la Convention sur les réfugiés de 1951 ni ses engagements dans le cadre du Human Rights Act de 1998 – une loi incorporant la Convention européenne des droits de l’homme de 1953 dans le droit britannique.

En avril, le gouvernement conservateur de Boris Johnson avait choqué les associations d’aide aux migrants et les partis d’opposition en annonçant un partenariat avec Kigali pour envoyer au Rwanda des demandeurs d’asile au seul motif qu’ils seraient arrivés « illégalement » au Royaume-Uni, sans visa, en traversant la Manche en bateau pneumatique.

Cette politique était défendue par la ministre de l’intérieur de l’époque, Priti Patel, pour son supposé effet dissuasif, et conçue comme un élément-clé du dispositif national pour stopper les périlleuses traversées de la Manche en small boats . Mais elle était dénoncée par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, par l’archevêque de Canterbury et primat de l’Eglise anglicane – qui la considère comme « immorale » – et même, à en croire des indiscrétions dans les médias, par le prince Charles (devenu roi en septembre), qui l’aurait jugée « épouvantable ».

Opportunité économique

« Je me réjouis de la décision de la Haute Cour, (…) nous avons toujours défendu le caractère légal de notre accord avec le Rwanda » , a réagi le premier ministre, Rishi Sunak, lundi. Plus pragmatique que ses prédécesseurs Boris Johnson et Liz Truss, M. Sunak, qui est lui-même issu d’une famille d’immigrés – ses parents sont d’origine indienne –, a cependant repris sans état d’âme la défense de leur « politique rwandaise ».

A Kigali, le porte-parole adjoint du gouvernement, Alain Mukuralinda, parle de « décision satisfaisante . On voit des gens mourir en se noyant dans la Méditerranée, ou victimes de trafics d’êtres humains. La décision de la Haute Cour montre une évolution dans la façon de résoudre ce problème » . Selon ce responsable, les autorités locales ont eu plusieurs mois pour se préparer, « de sorte que si demain un avion arrive le Rwanda est prêt à accueillir les premiers migrants » . Les mêmes hôtels, les mêmes termes de l’accord sont toujours en place. « Nous avons signé une convention, nous sommes prêts à l’appliquer, nous sommes prêts à l’améliorer, on attend maintenant qu’elle soit mise en application de l’autre côté. »

Avant la suspension de leur vol, le 14 juin, les passagers du premier charter affrété pour Kigali devaient être logés au Hope Hostel, dans le quartier de Kagugu, pour 67 euros par jour et par personne, payés par Londres. Le gouvernement rwandais défendait ces conditions d’accueil, en assurant que les arrivants pourraient travailler et bénéficier de la sécurité sociale du pays. Trois possibilités s’ouvriraient ensuite à eux : être régularisés et s’installer au Rwanda, retourner dans leur pays d’origine ou partir pour un pays tiers, à condition qu’ils puissent y résider légalement.

Kigali justifiait ce partenariat avec Londres par la tradition d’accueil du Rwanda, où près de 127 000 réfugiés sont enregistrés. Pour le pays africain, cette association est également une opportunité économique : le Royaume-Uni s’est engagé à investir 120 millions de livres sterling (137 millions d’euros), pour l’accueil des réfugiés et pour le développement économique du pays.

Les ONG britanniques ne s’avouaient pas vaincues, lundi. La voie des recours individuels reste ouverte, la Haute Cour ayant estimé que le ministère de l’intérieur n’avait pas examiné « correctement » les cas particuliers des huit migrants ayant opposé un recours à leur départ.

Les ONG s’inquiètent notamment du sort des personnes LGBTQ dans le pays africain. Suella Braverman, la ministre de l’intérieur du gouvernement Sunak, a réaffirmé, lundi, qu’il n’était pas question de déporter des familles. Mais elle a aussi dit vouloir mettre en œuvre « le plus vite possible » les vols vers Kigali. Très à droite du Parti conservateur, cette élue avait choqué en octobre en affirmant « rêver » de voir décoller des avions de migrants vers le Rwanda.

Depuis janvier, près de 45 000 personnes sont arrivées sur les côtes du Kent : ces passages sont un problème politique considérable pour les tories qui promettaient de « reprendre le contrôle » des frontières grâce au Brexit. Ces traversées peuvent aussi se révéler fatales. Dans la nuit du 13 au 14 décembre, quatre personnes ont trouvé la mort dans les eaux glacées de la Manche quand un bateau gonflable s’est retrouvé en difficulté en pleine nuit.

Sauvé par l’« Ocean Viking » et renvoyé au Mali 

Bamissa D. fait partie des 230 exilés secourus par SOS Méditerranée fin octobre 2022, débarqués à Toulon après trois semaines en mer. Son histoire résume la politique « entre humanité et fermeté » du gouvernement : il a été expulsé vers le Mali en novembre.

Par Nejma Brahim, 1 janvier 2023, pour Médiapart

Le regard vide et le débit saccadé, interrompu par des sanglots étouffés, Bamissa D. peine à ressasser les mésaventures vécues au cours des derniers mois. Nous lui parlons par téléphone, en vidéo, alors qu’il se trouve à Bamako, chez un ami où il est hébergé depuis son retour au Mali. Le jeune homme a été renvoyé par la France, le 22 novembre 2022, après un long périple à travers l’Afrique du Nord puis la Méditerranée centrale, où il avait été secouru fin octobre par l’Ocean Viking, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée.

 230 personnes exilées se sont trouvées coincées en Méditerranée durant trois semaines, sans possibilité d’accoster en Italie, qui a préféré ignorer les appels de l’ONG, avant que la France ne cède et décide d’ouvrir l’un de ses ports pour les accueillir. Mais cet accueil s’est fait au rabais, selon plusieurs associations, dont l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers ou Anafé,  présentes le jour du débarquement à Toulon.

Les rescapé·es de l’Ocean Viking ont été placé·es dans une zone d’attente créée spécialement pour l’occasion. Autrement dit, ils et elles ont été enfermé·es sans avoir pu officiellement pénétrer le territoire français, en attendant le résultat de leur demande d’asile, traitée dans des délais express. Bamissa a encore les photos immortalisant son passage en zone d’attente, un centre de vacances situé sur la presqu’île de Giens, devant la chambre qu’il occupait avec deux Pakistanais et un Bangladais. « On ne nous a pas expliqué ce qu’était une zone d’attente. C’était comme une prison, c’était surveillé et gardé partout. »

Bamissa D., secouru par l’« Ocean Viking » et expulsé par la France, à Bamako, le 19 décembre 2022. © Photo Nicolas Réméné pour Mediapart.

Le jeune homme a fini par être expulsé sur décision du ministère de l’intérieur, après le rejet de sa demande d’asile. Interrogé par la députée Rassemblement national Mathilde Paris le 22 novembre à l’occasion des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, s’en est d’ailleurs vanté : « Vous ne souhaitez pas entendre ce que fait le gouvernement français. À la fois de l’humanité en accueillant ce bateau, faire respecter le droit international et, c’est le cas depuis ce matin, reconduire des personnes, notamment au Mali, [où] un avion est déjà parti. »

Des procédures express pour expulser plus rapidement

Bamissa a été menotté et placé dans cet avion, en partance pour le Mali, après que le juge des libertés et de la détention (JLD) eut décidé de son maintien en zone d’attente et que le tribunal administratif de Toulon eut validé la décision de refus de sa demande d’asile en France.

« Il n’a pas eu d’obligation de quitter le territoire français puisque, juridiquement, il n’est jamais entré sur le territoire », explique Aude Mayoussier, son avocate. À propos de l’entretien mené dans le cadre de sa demande d’asile, cette dernière retient des questions « sans intérêt », qui « n’apportent rien à l’examen de la demande ».

« On lui reproche de ne pas avoir d’éléments permettant de corroborer ce qu’il dit, mais mon client était sur un bateau, c’est donc normal qu’il n’ait ramené aucun document avec lui. Eu égard aux réponses qu’il a données, cette décision de rejet pose problème », déroule-t-elle. Le 22 novembre, Bamissa assure avoir été emmené, avec un autre Malien, par la police aux frontières (PAF) en voiture jusqu’à l’aéroport de Marseille, où un vol les attendait pour Paris.

« Mardi dans la nuit, les policiers sont venus nous dire qu’on partait à Paris. Quand on leur a demandé pourquoi, ils ont répondu qu’on était libres et qu’on allait à Paris,  il y avait plus d’hôtels et une vie meilleure pour nous. Mais quand ils nous ont menottés devant la voiture, j’ai compris qu’il se passait quelque chose », relate-t-il. C’est à leur arrivée à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle qu’un agent de la PAF leur aurait annoncé leur renvoi : « Il nous a demandé si on connaissait notre destination, on a répondu : Paris. Il nous a appris qu’on allait à Bamako. »

Interrogée à ce sujet, Me Mayoussier n’a pas pu confirmer cette information. « Une fois que son maintien en zone d’attente est confirmé par le JLD et le refus de la demande d’asile validé par le tribunal administratif, ma mission en tant qu’avocat s’arrête. Iest ensuite livré à l’administration. »

Une traversée « forcée » de la Méditerranée

Disposant de seulement 24 heures pour faire appel, l’avocate n’a rien pu faire. Près d’un mois après son renvoi au Mali, Bamissa commence à prendre conscience qu’il est revenu à la case départ, alors qu’il avait fui son pays pour échapper aux groupes terroristes qui ont voulu l’embrigader, et qui, selon ses dires, ont tué son père en 2018.

Bamissa D. a vu sa demande d’asile rejetée et a été renvoyé au Mali, sur décision du ministère de l’intérieur français. © Photo Nicolas Réméné pour Mediapart.

Originaire de la région de Gao, au nord-est du Mali, il n’a pas de quoi payer son trajet pour retourner dans son village natal, où vit encore sa mère. « Je suis revenu avec un simple habit, je n’ai plus rien aujourd’hui. C’est l’ami qui m’héberge qui m’a prêté les vêtements que je porte en ce moment », confie-t-il. Le temps de « digérer » ce qui lui est arrivé, il faut trois semaines à Bamissa pour avouer à sa mère qu’il est de retour dans son pays. Celle-ci « ne cesse de pleurer » et « ne comprend pas comment [il s’est] retrouvé en Libye, puis en Europe ».

Lorsqu’il quitte son pays avec un ami en 2021, Bamissa pense d’abord pouvoir se réfugier en Algérie. Tous deux vivent durant quatre mois à Tamanrasset, dans le Sud, avant de devoir quitter l’Algérie également : « On a constaté qu’il y avait de plus en plus de contrôles là-bas pour refouler les migrants, raconte-t-il. Mon ami a suggéré qu’on aille en Libye, qui était à côté. » Bamissa trouve un emploi en tant que jardinier chez un Libyen à Sabratha, à l’ouest de Tripoli. Il affirme n’avoir jamais eu l’intention de traverser la Méditerranée.

Je n’avais jamais pensé faire la traversée. Je savais le danger, je savais que des milliers de personnes mouraient en mer chaque année.

Bamissa D., exilé secouru par l’« Ocean Viking »

« Je voulais juste vivre en sécurité et gagner ma vie. Au début, il me payait 1 000 dinars libyens par mois. Au bout de cinq mois, il a baissé mon salaire. » Et puis il ne l’aurait plus payé. Un matin, à l’aube, il est réveillé par son employeur et un homme « armé » venu le chercher à bord d’une voiture aux vitres teintées. « Mon patron m’a dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi et que je devais partir avec lui. Il m’a emmené au bord de la mer et m’a laissé là avec une quarantaine de personnes d’origine subsaharienne. On nous a forcés à monter sur un bateau. »

Il assure n’avoir rien payé pour cette traversée et soupçonne son ex-employeur de l’avoir remis aux passeurs, dans une sorte d’accord dont il ignore les contours. « Je n’avais jamais pensé faire la traversée. Je savais le danger, je savais que des milliers de personnes mouraient en mer chaque année. Je travaillais en Libye pour survivre et j’ai perdu tout ce que j’avais là-bas. » Après douze heures en mer, l’embarcation n’a plus d’essence et dérive toute la nuit. Au milieu des pleurs des exilé·es, Bamissa « se voit mourir », jusqu’à ce que l’Ocean Viking les secoure le 25 octobre au matin.

Le blocage en mer, durant trois semaines, est un calvaire. Les rescapé·es n’arrivent pas à dormir, souffrent du mal de mer ou sont dans un état si critique qu’ils et elles doivent être héliporté·es.

« On était désespérés, on était si proches de l’Italie mais elle ne nous a pas acceptés. Je sais qu’on était venus clandestinement, mais ça ne mérite pas de nous laisser en mer pendant des semaines », souffle-t-il, déplorant une « politique de fermeture »« L’accueil qu’on a eu en Europe et en France n’a pas été à la hauteur. »

Aujourd’hui, Bamissa n’a plus de goût à la vie. Il affirme ne pas pouvoir retourner dans sa région, où sa vie est toujours en danger selon lui. Il ignore s’il pourra se relever de cette épreuve : « Il n’y a pas de psychologue ici. J’essaie de me changer les idées en regardant le foot, mais je n’arrive pas à oublier ce que j’ai vécu. Je n’ai aucune perspective. » Il a « honte » de dépendre de cet ami qui l’héberge à Bamako et n’a pas de nouvelles de son frère, qui a dû lui aussi quitter le village natal. « Je devrais aider ma mère mais je n’en ai pas les moyens », conclut-il.

une plainte pour crime contre l’humanité déposée à l’encontre de hauts fonctionnaires européens

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/30/migrants-une-plainte-pour-crime-contre-l-humanite-deposee-a-l-encontre-de-hauts-fonctionnaires-europeens_6152393_3210.html
 

Une ONG allemande demande l’ouverture d’une enquête sur le rôle de l’ancienne cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, et de plusieurs membres de gouvernements de l’UE pour le renvoi de migrants dans des camps libyens.

Par Jean-Philippe Lefief, publié dans Le Monde, le 30 novembre 2022

Une plainte pour crime contre l’humanité a été déposée à la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre d’anciens représentants des institutions européennes et de plusieurs membres de gouvernements de l’Union accusés d’avoir refoulé illégalement, avec le concours des gardes-côtes libyens, des migrants qui cherchaient à traverser la Méditerranée.

Parmi les personnalités visées figurent l’ancienne porte-parole de la diplomatie européenne Federica Mogherini, le ministre de l’intérieur italien, Matteo Piantedosi, et ses deux prédécesseurs, ainsi que l’ancien directeur exécutif de Frontex, Fabrice Leggeri.

Le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), une ONG allemande, qui a saisi la CPI avec le soutien de  Sea-Watch, leur reproche, dans un communiqué de presse accompagnant l’annonce de la plainte, mercredi 30 novembre, d’avoir commis plusieurs « crimes contre l’humanité sous la forme de privation grave de liberté physique » entre 2018 et 2021, en interceptant systématiquement des migrants en Méditerranée pour les renvoyer en Libye, où ils sont souvent détenus dans des conditions jugées inhumaines, y compris par les Nations Unis.

Le gouvernement italien a conclu en février 2017 avec Tripoli un accord aussitôt entériné par le Conseil européen pour financer, équiper et former les gardes-côtes libyens afin qu’ils procèdent eux-mêmes à l’interception des bateaux de migrants, ce qui a permis de réduire de 81 % le nombre d’arrivées sur les côtes italiennes dès le premier semestre 2018. Il a été reconduit pour deux ans en 2020, puis pour un an début novembre, malgré l’appel de quarante ONG, dont Médecins sans Frontières, en faveur de son abrogation.

« Exploitation et mauvais traitements systématiques »

Marco Minniti, ministre de l’intérieur italien au moment de la signature de l’accord, fait partie des personnalités citées par l’ECCHR, tout comme son successeur Matteo Salvini, chef de file de la Ligue (extrême droite) devenu depuis vice-président du conseil, et son chef de cabinet de l’époque, Matteo Piantedosi, désormais à son tour ministre de l’intérieur. L’actuel premier ministre maltais, Robert Abela, et son prédécesseur, Joseph Muscat, sont également du nombre.

« L’exploitation et les mauvais traitements systématiques des migrants et des réfugiés sont omniprésents en Libye depuis au moins 2011 et comprennent des actes de détention arbitraire, de torture, de meurtre, de persécution, de violence sexuelle, ainsi que d’esclavage. Ces atteintes peuvent constituer des crimes contre l’humanité », écrit l’ONG,  avant de poursuivre : « Malgré la connaissance de ces crimes, les responsables des agences de l’Union européenne ainsi que de l’Italie et de Malte ont renforcé leur collaboration avec Libye pour empêcher les réfugiés et les migrants de fuir la Libye par voie maritime. »

« Le traitement inhumain et les conditions de détention des migrants et des réfugiés en Libye sont bien connus depuis de nombreuses années. Le pays n’est pas un endroit sûr pour les migrants et les réfugiés. En vertu du droit maritime international, les personnes secourues en mer doivent être débarquées dans un lieu sûr. Personne ne devrait être renvoyé en Libye après avoir été secouru en mer », ajoute Andreas Schüller, directeur du programme de l’ECCHR pour les crimes internationaux et la responsabilité.

Si la plainte de l’ONG est jugée recevable, les membres des institutions européennes cités pourraient être appelés à comparaître devant la CPI, où l’immunité liée à leurs fonctions peut être levée à certaines conditions en vertu d’un accord conclu avec la Commission européenne.

L’ECCHR avait déjà saisi la CPI en novembre 2021 avec le soutien de la Fédération internationale pour les droits humains et de Lawyers for Justice in Libya pour l’inviter à enquêter sur la responsabilité des groupes armés, des milices et des acteurs étatiques libyens impliqués dans la commission de crimes contre l’humanité aux dépens de migrants et de réfugiés. La juridiction enquête sur la situation en Libye mais n’a pas ouvert d’instruction spécifique à ce sujet.

les Vingt-Sept approuvent un plan d’urgence pour éviter de reproduire la crise de l’« Ocean-Viking »

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/25/migrations-les-vingt-sept-approuvent-un-plan-d-urgence-pour-eviter-de-reproduire-la-crise-de-l-ocean-viking_6151689_3210.html

Le Monde avec AFP, publié le 25 novembre 2022

Le plan d’action propose 20 mesures, notamment pour renforcer la coopération avec des pays comme la Tunisie, la Libye ou l’Egypte afin de prévenir les départs et augmenter les renvois de migrants en situation irrégulière.

Deux semaines après la crise franco-italienne autour de l’Ocean-Viking, les ministres européens de l’intérieur réunis à Bruxelles ont approuvé, vendredi 25 novembre, un plan d’action afin de ne « pas reproduire ce genre de situation ».

La réunion avait été convoquée à la demande de Paris, qui a accepté à « titre exceptionnel » le11 novembre le débarquement des 234 migrants de l’Ocean-Viking sur le sol français, après le refus du gouvernement italien d’extrême droite de Giorgia Meloni d’accueillir ce navire humanitaire longtemps bloqué au large des côtes italiennes.

A son arrivée, le ministre français, Gérald Darmanin, avait répété que la France n’accueillerait pas de demandeurs d’asile arrivés en Italie tant que Rome ne respecterait « pas le droit de la mer ».

Renforcer la coopération

Le plan d’action d’urgence, présenté lundi par la Commission européenne et endossé par les ministres, propose 20 mesures, notamment pour renforcer la coopération avec des pays comme la Tunisie, la Libye ou l’Egypte afin de prévenir les départs et augmenter les renvois de migrants en situation irrégulière.

Il prévoit aussi une meilleure coordination et un échange d’informations entre Etats et ONG secourant des migrants en mer, et entend « promouvoir des discussions au sein de l’Organisation maritime internationale [OMI] » sur des « lignes directrices pour les bateaux effectuant des opérations de sauvetage en mer ».

Les « pays du sud de la Méditerranée doivent également ouvrir leurs ports » aux navires de sauvetage de migrants « qui croisent dans leurs eaux territoriales », a souligné Gérald Darmanin.

« La crise de l’Ocean-Viking, c’était un peu l’improvisation », a déclaré le vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas. Là, « on a 20 actions spécifiques, un accord politique important, tout le monde s’engage à travailler pour ne pas reproduire ce genre de situation », a-t-il commenté à l’issue de la réunion, qu’il a décrite comme « positive ». Mais « ce n’est pas la solution définitive », a-t-il reconnu, appelant les Etats membres à faire progresser les négociations pour une réforme de la migration et de l’asile dans l’Union européenne (UE), qui piétinent depuis plus de deux ans.

Relancer un mécanisme temporaire de solidarité européen

Le plan d’urgence entend aussi relancer un mécanisme temporaire de solidarité européen agréé en juin, à l’initiative de la France qui assurait alors la présidence du Conseil de l’UE. Une douzaine de pays s’étaient engagés de façon volontaire, pour soulager les Etats méditerranéens, à accueillir sur un an quelque 8 000 demandeurs d’asile arrivés dans ces pays, la France et l’Allemagne en prenant chacune 3 500. Mais la crise de l’Ocean-Viking a conduit Paris à suspendre ses « relocalisations » depuis l’Italie.

« Nous devons sortir d’une situation où les mêmes Etats sont appelés à accueillir des navires et à effectuer des relocalisations depuis d’autres Etats membres. La France reprendra ses relocalisations lorsque cela sera le cas », a tweeté Gérald Darmanin à l’issue de la réunion.

Le ministre italien, Matteo Piantedosi, a, pour sa part, affirmé avoir constaté une « convergence de positions » lors de la réunion, précisant avoir « salué cordialement » son homologue français. Ce dernier l’a invité à venir à Paris avant une prochaine réunion des ministres de l’intérieur prévue le 8 décembre à Bruxelles.

La migration est revenue dans l’agenda européen alors que les entrées irrégulières aux frontières extérieures de l’Union sont en forte hausse (280 000 sur les dix premiers mois de l’année, + 77 %). La poussée est particulièrement forte via la route des Balkans (+ 168 % sur la même période). La Commission prépare un autre plan d’action pour tenter d’endiguer cette hausse.

Les chiffres n’atteignent pas le niveau de la crise des réfugiés de 2015-2016. Mais la possibilité d’une nouvelle vague d’arrivées d’Ukrainiens cet hiver, qui sont pour des millions d’entre eux privés d’électricité à cause des bombardements russes, vient aussi nourrir les préoccupations européennes.

Le ministre grec de la migration et de l’asile, Notis Mitarachi, s’est, quant à lui, plaint que la Turquie ne respecte pas un accord migratoire de 2016 prévoyant notamment qu’elle reprenne les migrants n’ayant pas obtenu le droit à l’asile. Il a aussi estimé que le mécanisme volontaire de solidarité n’était « pas suffisant », appelant à une solution « obligatoire ».

De son côté, la secrétaire d’Etat belge à l’asile et à la migration, Nicole de Moor, a réclamé « aussi de la solidarité pour les Etats membres comme la Belgique qui font plus que leur part mais voient leurs capacités d’accueil saturées par les flux secondaires depuis des mois ».

Une proposition de loi contre « l’occupation illicite des logements » contestée

Par Claire Ané, Le Monde, le 28 novembre 2022

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/28/une-proposition-de-loi-contre-l-occupation-illicite-des-logements-contestee_6151909_3224.html?random=1318678193

Porté par les députés Renaissance Guillaume Kasbarian et Aurore Bergé, le texte examiné à compter de lundi à l’Assemblée nationale alourdit les peines de prison pour les squatteurs, et en crée à l’encontre des locataires qui ne se soumettent pas à une décision d’expulsion.

 Une manifestation contre la proposition de loi visant à « protéger les logements contre les occupations illicites », à Paris, le 27 novembre 2022.  Une manifestation contre la proposition de loi visant à « protéger les logements contre les occupations illicites », à Paris, le 27 novembre 2022. THOMAS SAMSON / AFP

C’est un texte qui fait réagir. La proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite », qui doit être examinée à l’Assemblée nationale à compter de lundi 28 novembre, a été critiquée à plusieurs reprises lors d’un colloque contre la précarité énergétique, le 23 novembre à Paris. Ancienne ministre du logement de François Hollande, Emmanuelle Cosse a ainsi estimé qu’il « remet en cause dix ans de travail gouvernemental sur la prévention des expulsions ». Et Emmanuelle Wargon, chargée du même portefeuille lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, d’embrayer : « Il n’y a qu’environ 200 squats par an. Avec la dernière réforme [la loi ASAP de 2020], on a trouvé un équilibre et on sait les traiter. Et on avait su contenir les expulsions locatives. »

Ces propos, les appels à retirer le texte émanant d’une quinzaine d’organisations – dont la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et les principales associations de locataires – ou l’opposition des députés de gauche ne découragent pas le député Renaissance Guillaume Kasbarian (Eure-et-Loir). S’il a déposé cette proposition de loi avec Aurore Bergé et de nombreux autres élus de la majorité présidentielle, c’est pour « répondre à de vraies situations de détresse de petits propriétaires, victimes de squatteurs ou d’impayés de loyers pendant plusieurs années »« Depuis, j’ai reçu quelque deux cents témoignages », assure-t-il.

Les associations s’inquiètent tout particulièrement de l’adoption, en commission des lois, d’un amendement porté par des députés Les Républicains (LR), jugé « bienvenu » par Guillaume Kasbarian. « L’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble bâti à usage d’habitation appartenant à un tiers s’apparente à un vol », prévoit le nouvel article 1er A. « Cette formulation rendrait passibles de peines de trois à quinze ans de prison des gens qui squatteraient un logement vide depuis des années, ainsi que des locataires dont le bail a été résilié après des impayés. Alors qu’actuellement, seule la violation de domicile expose à une peine d’un an de prison », décrypte le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue.

« Maintenir un équilibre »

Par ailleurs, l’évacuation d’urgence par la préfecture, prévue par la loi ASAP en cas de violation de domicile, pourrait désormais être demandée même si ce dernier est « non meublé ». « Il s’agit de couvrir la période avant l’emménagement », fait valoir Guillaume Kasbarian. « Cela permet d’étendre la notion de domicile aux plus de 3 millions de logements vacants », estime Ninon Overhoff, responsable du département « de la rue au logement » au Secours catholique.

Concernant les locataires en impayés de loyer, les délais dans les procédures d’expulsion seraient divisés par deux. « Les services sociaux, qui sont débordés, n’auront plus le temps d’aider ces locataires à reprendre leurs versements », prévient Ninon Overhoff. Le juge ne pourrait plus faire vérifier la réalité de la dette locative ni accorder de délais de paiement et de maintien dans les lieux, sauf si le locataire les demande expressément. « Mais seulement 37 % des locataires se présentent aux audiences, et peu connaissent leurs droits ! », conteste Manuel Domergue.

Pour le président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers, Christophe Demerson, le texte « va dans le bon sens : les propriétaires hésiteront moins à mettre leur bien en location ». Et il estime qu’en cas de difficultés d’un locataire de bonne foi, « le bailleur accordera un délai plutôt que de s’embêter à déclencher des procédures ». Un optimisme que ne partage pas Ninon Overhoff : « Il y avait déjà 288 000 ménages en impayés de loyers au premier trimestre, selon la Caisse nationale des allocations familiales, et ce nombre va augmenter avec l’inflation et le coût de l’énergie. Si cette loi passe, les expulsions, en hausse, risquent de se multiplier. »

Pas moins de 197 amendements ont été déposés, laissant augurer des débats nourris. Selon le député Europe Ecologie-Les Verts Aurélien Taché, « le ministre délégué au logement, Olivier Klein, sait que ce texte est une aberration. Mais saura-t-il convaincre la première ministre et le président de la République ? » Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, a d’ores et déjà annoncé que celui-ci soutiendra le texte. Sollicité par Le Monde, le ministère du logement se dit « toutefois très vigilant à maintenir un équilibre entre prévention des expulsions locatives et protection des locataires les plus fragiles d’une part, et protection des propriétaires bailleurs dans le respect de leur droit de propriété d’autre part ». Guillaume Kasbarian indique pour sa part être « prêt à clarifier le nouvel article 1er A, pour échelonner les peines selon les situations ».

Mort de migrants dans la Manche : « Les discours politiques européens se réfèrent aux lois pour justifier leur irresponsabilité »

 

Dans une tribune au « Monde », les professeurs Shoshana Fine et Thomas Lindemann s’alarment des raisons juridiques avancées par les pays européens pour légitimer leur non-assistance aux migrants en détresse.

Publié le 27 novembre 2022, Le Monde

Dans son édition du 13 novembre 2022, Le Monde révélait que le personnel du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritime (Cross) de Gris-Nez (Pas-de-Calais) n’avait pas porté assistance à des naufragés traversant la Manche, en novembre 2021 ; 27 d’entre eux avaient trouvé la mort. Cette non-assistance pourrait, de prime abord, être imputée à des personnels incompétents. Pourtant, à regarder de plus près leur argumentation, deux lignes de défense sont identifiables.

Dans la première, les secouristes se réfèrent aux lois internationales et européennes pour justifier leur irresponsabilité, en liant l’obligation de sauvetage au principe de souveraineté. La protection des frontières étatiques prévaut sur la protection des vies : « Alors que, à 3 h 30, un passager explique qu’il est littéralement “dans l’eau”, le Cross s’entête à lui rétorquer : “Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises”. » Cette référence à une responsabilité territorialisée est partagée par leurs homologues anglais : « Le temps qu’ils arrivent sur place, les vagues nous auraient menés dans les eaux territoriales françaises », par conséquent « ils ne sont pas venus », rapporte un survivant.

Une deuxième justification plus indirecte présente les naufragés comme responsables de leur situation. Ils ont choisi de rompre les lois en traversant « illégalement » la Manche : « Ah bah tu n’entends pas, tu ne seras pas sauvé. J’ai les pieds dans l’eau, bah…je ne t’ai pas demandé de partir. »

Délégation de compétences

Ces réponses sont omniprésentes dans les discours politiques européens qui se réfèrent de manière systématique aux lois pour justifier leur irresponsabilité, tout en gardant une posture morale. La référence à la protection des frontières est complétée par le principe de délégation. Depuis 2000, les Etats européens sous-traitent de manière grandissante la gestion migratoire à des acteurs privés et à des Etats non européens. Ce processus connu sous le nom d’externalisation est justifié par des arguments d’efficacité et d’humanitarisme. Il est affirmé qu’il s’avère risqué pour les migrants de traverser la Méditerranée ou la Manche, et que leur bien-être serait meilleur « chez eux » ou dans les pays voisins.

Cette délégation des compétences s’opère également à l’intérieur de l’Union européenne (UE), notamment à travers le règlement de Dublin (1997, 2003, 2013). L’UE oblige les demandeurs d’asile à enregistrer leur demande dans le premier pays européen où ils posent le pied – ce qui rend une petite minorité des Etats européens responsables de la grande majorité des demandes d’asile, notamment l’Italie et la Grèce. En réalité, cette politique déplace la responsabilité aux pays périphériques formant un cordon sanitaire.

La grande majorité des Etats européens peuvent justifier leur non-intervention en se référant aux normes légales. En somme, ce sont des pays comme la Turquie, le Maroc ou la Libye qui sous-traitent les demandes d’asile. Alors qu’ils sont souvent critiqués pour leur autoritarisme et leur mépris des droits humains, ils deviendraient miraculeusement des avocats fiables du droit d’asile et des « partenaires privilégiés » dans la gouvernance migratoire, pour reprendre les formules de la Commission européenne.

Manque de voies légales

De manière récurrente, les responsables politiques et les organisations internationales argumentent aussi que ces morts résulteraient des activités criminelles des passeurs. Ceux-ci enverraient les migrants en voyage périlleux vers les côtes européennes sur des bateaux de fortune surpeuplés. La mort des migrants serait alors essentiellement due à une activité illégale d’exploiteurs.

Pour réduire ce phénomène, il conviendrait donc d’éradiquer le trafic des personnes. Un tel point de vue est largement contesté par des universitaires et des acteurs de la société civile, qui lui reprochent d’ignorer les conditions structurelles de la mortalité – à savoir le durcissement des politiques des frontières et le manque de voies légales qui rendent les migrants dépendants des passeurs quand ils aspirent à rejoindre l’Europe pour déposer leur demande d’asile.

Demander l’asile dans les Etats européens implique toujours de faire un périple dangereux et de « rompre la loi ». Ce paradigme légal reposant sur l’idée qu’il suffirait de respecter la loi et l’ordre pour mettre fin à ces décès est donc erroné.

Quoi qu’il en soit, de telles justifications donnent l’impression que la loi vise à protéger un statut juridique et non les êtres humains. Les secouristes semblent se préoccuper davantage de la frontière que des naufragés, tout en affichant la bonne conscience de ceux qui servent la loi. Finalement, la référence perpétuelle des Etats européens aux textes de loi ne mène-t-elle pas à une sorte de droit de non-protection ?

Shoshana Fine est maîtresse de conférences en science politique à l’université catholique de Lille (Espol) et enseignante à Sciences Po Paris. Elle est spécialiste des politiques migratoires européennes ; Thomas Lindemann est professeur de science politique à l’université Versailles-Saint-Quentin et à l’Ecole polytechnique, et a publié de nombreux ouvrages et articles sur les violences politiques et la reconnaissance.

Mort de 27 migrants dans la Manche : les enquêteurs évoquent la « non-assistance à personne en danger »

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/11/21/mort-de-27-migrants-dans-la-manche-les-enqueteurs-evoquent-la-non-assistance-a-personne-en-danger_6150926_4355770.html

Par Abdelhak El Idrissi et Julia Pascual, publié le 21/11/2022 dans le Monde

Enquête Les gendarmes chargés d’enquêter sur les circonstances du naufrage intervenu en novembre 2021 entre la France et l’Angleterre mettent en cause le comportement des sauveteurs français. Le Cross a notamment refusé d’envoyer un navire de secours, malgré les demandes insistantes des sauveteurs britanniques.

La responsabilité pénale de sauveteurs français dans la noyade de migrants dans la Manche pourrait-elle être engagée ? L’hypothèse est sérieusement envisagée par les gendarmes, qui enquêtent sur les circonstances du naufrage d’une embarcation de migrants qui a fait au moins vingt-sept morts, le 24 novembre 2021, selon une note de synthèse rédigée à l’issue de dix mois d’enquête sur ce drame, dont Le Monde a eu connaissance.

Dans ce document daté du 14 octobre 2022, les militaires de la section de recherches de la gendarmerie maritime de Cherbourg (Manche) soulignent le comportement du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) Gris-Nez, dans le Pas-de-Calais, chargé d’organiser les secours des embarcations en difficulté dans la traversée vers l’Angleterre. Ils recommandent des « investigations complémentaires » pour faire la lumière sur « des faits pouvant recevoir une qualification pénale, au titre de la non-assistance à personne en danger ».

Les dysfonctionnements du côté des sauveteurs français ressortent de manière flagrante par comparaison avec les actions menées par leurs homologues britanniques le soir du drame. Dans leur synthèse, les gendarmes relèvent qu’après plusieurs demandes d’assistance faites par l’embarcation aux secours des deux pays, « le canot est localisé côté français à 2 h 05 ». Pourtant, « aucun moyen de sauvetage français ne sera engagé pour lui porter assistance (…), malgré de nombreux appels de détresse reçus de cette embarcation ».

Le déroulé des faits, reconstitué par Le Monde

23 novembre, vers 22 h : départ du canot

Trente-trois migrants prennent place dans une embarcation pneumatique sur une plage à proximité de Dunkerque (Nord) pour tenter de gagner les côtes anglaises.

Fourni par des passeurs, ce bateau était, « de par sa conception, sa fabrication “artisanale”, sa surcharge et son absence d’équipement (de navigation, de signalisation ou de sécurité…), inadapt[é] à une traversée nocturne de la Manche », noteront les gendarmes dans la synthèse de leur enquête sur le drame du 24 novembre.

24 novembre, entre 1 heure et 1 h 35 : premier appel à l’aide

Les occupants de l’embarcation appellent à l’aide les secours britanniques. Les gardes-côtes du Maritime Rescue Coordination Centre (MRCC) de Douvres préviennent les Français du Cross (centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritimes) Gris-Nez qu’une embarcation est en difficulté.

1 h 48 : premier contact avec le Cross

Les migrants entrent en contact avec le Cross. L’un des occupants explique qu’ils sont trente-trois à bord d’un bateau « cassé ». Selon la procédure usuelle, l’opératrice lui demande d’envoyer par la messagerie WhatsApp sa géolocalisation.

« S’il vous plaît, s’il vous plaît ! (…) On a besoin d’aide, s’il vous plaît. Aidez-nous s’il vous plaît », implore l’un des occupants. « Si je n’ai pas votre position je ne peux pas vous aider », lui répond l’opératrice du Cross. A bord, les passagers paniquent. Ils crient et pleurent. « Envoyez-moi votre position maintenant et je vous envoie un bateau de secours dès que possible », répète l’opératrice.

2 h 05 : le canot localisé dans les eaux françaises

Un occupant du bateau communique finalement au Cross la position de l’embarcation, qui se situe dans les eaux françaises. Quelques minutes plus tard, l’opératrice promet d’envoyer des secours, mais n’en fait rien. « Bien que se trouvant en eaux françaises, le Cross n’engagera aucun moyen de secours pour porter assistance à l’embarcation en péril », relèveront les gendarmes. Un patrouilleur français, le Flamant, se situe à ce moment-là à une vingtaine de kilomètres du canot.

2 h 06 : échange avec les Britanniques

Lors d’un échange avec les gardes-côtes britanniques, le Cross leur indique qu’une embarcation approche de leurs eaux territoriales, désormais à 0,6 mille nautique (1,1 kilomètre), sans préciser qu’elle est en difficulté.

2 h 10 : pas de réaction du Cross

L’embarcation signale de nouveau sa localisation, qui la situe toujours dans les eaux françaises.

Les passagers continuent d’appeler le Cross. A 2 h 15, alors que des cris et des pleurs se font entendre, l’opératrice française « leur dit de garder leur calme et que le bateau des secours arrive », relateront les enquêteurs, qui noteront que « ceci s’avérera inexact ».

Lors des appels, « aucun bruit de moteur » ne se fait entendre. « Pour un opérateur, c’est une information primordiale, cela démontre d’office une situation de danger », souligneront les gendarmes.

2 h 28 : le canot passe dans les eaux britanniques

Dès que l’embarcation passe côté britannique, les Français préviennent leurs homologues de la présence de l’embarcation dans leurs eaux territoriales. « Ceci sans jamais [les] informer que cette embarcation est en difficulté, a demandé assistance et attend un bateau de sauvetage promis depuis 2 h 05 », noteront les gendarmes.

Vers 2 h 30 : les Britanniques réagissent

Dès l’appel des Français, les Britanniques alertent la Border Force, l’autorité chargée du contrôle des frontières, et envoient « rapidement » leur patrouilleur, le Valiant, situé à quarante-cinq minutes de navigation.

Ils demandent toutefois « avec insistance et à plusieurs reprises » aux Français d’envoyer le Flamant, bien plus proche du bateau qui « coule » que le Valiant.

« L’opératrice du Cross refusera de le faire intervenir, arguant qu’il est occupé sur un autre cas », noteront les gendarmes, qui peineront à comprendre cette décision, puisque l’étude de la radio a démontré que le Flamant n’était à ce moment-là « pas occupé sur une mission vitale ».

2 h 43 : nouveaux appels de détresse

Les passagers de l’embarcation continuent d’appeler le Cross à l’aide. S’ensuivront pas moins de quatorze appels étalés jusqu’à 4 h 22, au cours desquels les migrants disent qu’ils sont « dans l’eau » ou encore que « c’est fini » pour eux. A plusieurs reprises, l’opératrice leur annonce, à tort, l’arrivée prochaine de secours.

« Les nombreux appels de cette embarcation, qui se trouve côté britannique, semblent “agacer” une opératrice du Cross », relèveront les gendarmes, avant de conclure : « On comprend bien qu’il ne s’agit pas d’un problème français… »

3 h 27 : mayday britannique

Les Britanniques diffusent un mayday, un signal appelant à porter assistance à un bateau dont les passagers sont en danger de mort. « Aucun navire n’a répondu à cet appel de détresse, malgré plusieurs diffusions », relèveront les gendarmes, qui rappellent que les conventions internationales donnent au capitaine d’un navire « l’obligation de prêter assistance à quiconque est trouvé en péril en mer et de se porter aussi vite que possible au secours des personnes en détresse ».

4 h 16 : un tanker propose son aide

Le tanker Concerto appelle le Cross pour signaler la présence d’une embarcation en difficulté. Il demande aux autorités françaises la conduite à tenir.

L’opérateur lui répond qu’il peut continuer sa route car le Flamant est en chemin. Les gendarmes établiront pourtant que le Flamant n’avait pas été envoyé au secours de cette embarcation.

4 h 34 : dernier appel de détresse

Lors d’un nouvel appel de détresse des migrants, des cris se font entendre. La communication se coupe. C’était le dernier appel enregistré par les secours.

Cette nuit-là, le Valiant britannique, assisté d’un hélicoptère, se portera au secours de trois autres embarcations, sauvant quatre-vingt-dix-huit migrants de la noyade. « Ne recevant plus d’appel de [l’embarcation ayant appelé le Cross à l’aide], ils ont manifestement pensé les avoir sauvés », relèveront les gendarmes.

13 h 49 : découverte des corps par un pêcheur

Le patron du bateau Saint-Jacques II découvre une quinzaine de corps gisant à la surface de l’eau, à côté de leur bateau dégonflé, et prévient le Cross.

Vingt-sept corps seront repêchés dans les eaux territoriales françaises, dont ceux de six femmes et d’une fillette. Seuls deux survivants seront secourus.

Sources : MarineTraffic et Le Monde · Cartographie : Le Monde.

A l’issue de leur enquête sur la nuit du 24 novembre, les gendarmes s’étonnent du peu d’informations transmises par le Cross aux secours britanniques lorsque l’embarcation franchit la frontière maritime. Ainsi, les secours français ne précisent « jamais » à leurs homologues que « cette embarcation est en difficulté [ni qu’elle a] demandé de l’aide et attend un bateau de sauvetage promis depuis [2 h 05] ».

Ils soulignent en revanche la réactivité des Britanniques, qui, « dès l’information du Cross Gris-Nez indiquant qu’un bateau de migrants était proche des eaux anglaises, ont alerté la Border Force », l’autorité chargée du contrôle des frontières, et « engagé rapidement » leur patrouilleur, le Valiant. Dans le même temps, les secours britanniques diffusent un « Mayday », un signal appelant à porter assistance à un bateau dont les passagers sont en danger de mort. « Aucun navire n’a répondu à cet appel de détresse, malgré plusieurs diffusions », relèvent les enquêteurs.

Surtout, les sauveteurs britanniques demandent « avec insistance et à plusieurs reprises » aux Français d’envoyer le patrouilleur tricolore Flamant, bien plus proche du bateau qui « coule » que le Valiant, alors à quarante-cinq minutes de navigation. « L’opératrice du Cross refusera de le faire intervenir, arguant qu’il est occupé sur un autre cas », notent les enquêteurs, qui peinent à comprendre cette décision, puisque l’étude de la radio a démontré que le Flamant n’était à ce moment-là « pas occupé sur une mission vitale ». Ils s’interrogent aussi sur les raisons pour lesquelles « l’opérateur du Cross a indiqué, à plusieurs reprises », aux migrants avoir envoyé un bateau de secours, alors que cette information « s’avérera inexact[e] ».

Un an après le drame, les questions des gendarmes restent nombreuses. Pourquoi le Cross n’a pas engagé de moyens de sauvetage ? A-t-on volontairement attendu que l’embarcation passe chez les Anglais ? Pourquoi avoir refusé de faire intervenir le Flamant ? Qui a pris cette décision ? Autant d’interrogations consignées dans la synthèse, auxquelles ils jugent « important de répondre afin de déterminer les responsabilités éventuelles ». C’est désormais au parquet de Paris de décider des suites à donner à ces découvertes : élargir l’enquête de la juge d’instruction déjà saisie ou ouvrir une nouvelle procédure.

« Cris et pleurs »

Lors de leurs auditions par les enquêteurs, les opérateurs du Cross se sont justifiés en assurant recevoir de nombreux appels à l’aide de migrants qui ne sont pas réellement en danger, mais souhaitent être « escortés » vers les eaux britanniques. Les gendarmes remettent en cause cet argument et notent que, le 24 novembre, alors que le canot est dans les eaux françaises, « quatre appels de l’embarcation parviennent au Cross » durant lesquels « des cris et des pleurs sont entendus ». Ils insistent sur un détail loin d’être anodin : aucun bruit de moteur ne se fait entendre derrière la voix des passagers du canot. Ce qui devrait constituer « une information primordiale pour un opérateur », puisque « cela démontre d’office une situation de danger ».

Les gendarmes regrettent également la mauvaise volonté du Cross Gris-Nez au cours de leurs investigations, notamment de son directeur, qui a refusé « de communiquer les coordonnées des opérateurs [en vue de leur audition] ». Ils battent également en brèche les conclusions du rapport que ce dernier a remis en mars au préfet maritime, dans lequel il assure que « toutes les opérations du 24 novembre 2021 ont été traitées conformément aux procédures » et qu’« il est inexact d’affirmer que les services de sauvetage français et britanniques (…) n’ont rien fait et se sont renvoyé la balle »« Ce rapport, qui n’engage que son auteur, ne reflète pas la réalité de ce que nous avons pu constater », estiment les enquêteurs.

Dans leur synthèse, les gendarmes évoquent, en outre, les « comportements inadaptés des personnels » du Cross, à l’image du pseudonyme utilisé par le directeur adjoint du centre et découvert dans les tablettes du service : « Super Migrant ».

Interpellé au sujet des conditions du naufrage lors d’une intervention à l’Assemblée nationale, jeudi 17 novembre, le secrétaire d’Etat à la mer, Hervé Berville, a annoncé l’existence d’une « enquête interne à l’administration » et déclaré que, « si ces faits sont avérés, si ces personnes étaient dans les eaux françaises et qu’à un quelconque moment il y a eu un manquement ou une erreur, les sanctions seront prises ».

« Dispositif saturé »

L’enquête des gendarmes a également permis d’établir que l’insuffisance des moyens de secours face à des candidats à la traversée de plus en plus nombreux était bien connue des autorités locales mais aussi au plus haut niveau de l’Etat. Preuve en est ce rapport du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord remis au secrétariat général de la mer, placé directement sous l’autorité du premier ministre d’alors, Jean Castex. A peine six semaines avant le naufrage du canot, le 15 octobre 2021, le préfet s’inquiète de « la situation plus que tendue en termes de moyens humains et matériels affectés au sauvetage de migrants candidats à la traversée », et évoque « des situations, de plus en plus fréquentes, où le dispositif de sauvetage a été totalement saturé et les moyens à la mer totalement débordés », selon le compte rendu qu’en font les enquêteurs.

Parmi les épisodes les plus éloquents, le préfet maritime cite la journée du 10 octobre 2021. Ce jour-là, 350 naufragés ont été secourus, sans aucun décès à déplorer. Un bilan « miraculeux » au regard des conditions matérielles des services de secours, selon le préfet, qui alerte : « La probabilité d’occurrence d’un secours maritime de grande ampleur dans le détroit devenait de plus en plus forte. » Ce rapport tristement prémonitoire se conclut avec une demande de « renforcement des équipes du Cross Gris-Nez et des unités à la mer pour pouvoir faire face à des sauvetages de grande ampleur ». Sollicité sur l’existence de ce rapport, le secrétariat général de la mer n’a pas répondu.

Un renforcement des moyens humains et matériels des services de secours dans la Manche a bien eu lieu. Mais il n’est intervenu qu’au lendemain du drame du 24 novembre.

Demandeurs d’asile : au Royaume-Uni, une crise plus politique que migratoire

Le gouvernement a beau parler «d’invasion» et vouloir limiter les arrivées illégales, les chiffres montrent que le pays accueille peu de demandeurs d’asile par rapport à ses voisins européens.
Par Juliette Démas publié le 23 novembre 2022

Des réfugiés qui arrivent en canots gonflables sur les côtes britanniques : depuis plusieurs années, l’image fait régulièrement la une des journaux britanniques de tous bords. Un record a été dépassé le 13 novembre : quelques centaines d’arrivées ont porté à 40 000 le nombre de personnes ayant traversé la Manche pour rejoindre le Royaume-Uni cette année. En 2021, le total s’élevait à 28 526. Le 24 novembre de cette année, il y a exactement un an, 27 candidats à l’exil, dont six femmes et une petite fille, se noyaient dans la Manche. En 2018, ils n’étaient que 299 à tenter le voyage. Londres vient donc de signer un nouvel accord avec la France, d’où partent ces canots. L’Etat britannique versera plus de 72 millions d’euros en 2022-20023. pour aider les autorités françaises à empêcher le départ des embarcations, en renforçant les patrouilles, les échanges d’informations et la coopération.

Le phénomène n’est pas nouveau, cet accord et l’aide financière ne sont pas les premiers. Mais alors que les chiffres grimpent, la rhétorique du gouvernement conservateur attise la haine de l’étranger et divise plus que jamais. La ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, aux convictions à l’extrême droite, affirmait le 31 octobre  qu’il s’agissait d’une «invasion». Le jour précédent, un homme «motivé par une idéologie d’extrême droite» attaquait un centre d’accueil des migrants à Douvres. Et aux mots se joignent les images : le 3 novembre, Braverman visitait le centre d’accueil voisin de Manston, dans le Kent, débarquant en hélicoptère Chinook, un appareil militaire plus couramment utilisé sur les terrains de guerre ou pour les évacuations.

La crise est-elle vraiment si sévère, pour générer de telles réactions ? «Non», tranche sans hésiter Bridget Chapman, activiste installée dans le Kent qui organise des rassemblements en soutien aux réfugiés. Pour elle, ce ne sont pas les arrivées qui posent problème mais l’attitude du gouvernement. En effet, le chiffre de 40 000 traversées et de 63 000 demandes d’asile fait pâle figure par rapport aux données de l’Allemagne qui a enregistré plus de 190 000 demandes en 2021. « Même la France en reçoit deux fois plus que le Royaume-Uni, s’indigne Bridget Chapman. Il faut garder à l’esprit que les gens sont d’abord déplacés dans les pays proches de là d’où ils viennent : le Liban fait 4 % de la superficie du Royaume-Uni et accueille plus de 1,5 million de réfugiés. Ceux qui veulent rejoindre notre pays ont leurs raisons : ils ont de la famille ici, ils viennent des anciennes colonies…»

Selon le Refugee Council, qui s’appuie sur les chiffres du ministère de l’Intérieur, 91 % des personnes qui arrivent par la Manche viennent de dix pays présentant un danger pour les droits humains (Afghanistan, Iran, Syrie, Irak, Soudan, Yémen ou encore Erythrée). A leur arrivée, 98 % d’entre eux déposent une demande d’asile. L’Observatoire des migrations d’Oxford avance que le taux de validation de ces demandes a bondi en 2021, pour atteindre 72 % de réponses positives. Les réfugiés ont également la possibilité de passer en appel, et gagnent dans plus de la moitié des cas.

«Cruauté volontaire»

Pour Bridget Chapman, le basculement est arrivé au moment du Brexit. Avec la poussée du Ukip (United Kingdom Independence Party), parti nationaliste et eurosceptique alors dirigé parNigel Farage, le discours sur l’immigration se transforme, selon l’activiste : «Les gens se sont mis à utiliser des mots comme «afflux» ou «vague», et c’est devenu un des points clés du débat.» Pendant la campagne, Nigel Farage pose, tout sourire, devant une affiche montrant une file de réfugiés syriens pour inviter l’électeur à «reprendre le contrôle». Un montage qui fait scandale à l’époque, médias et politiques dénonçant «une campagne de propagande» raciste et «répugnante», inspirée de l’imagerie nazie. Mais le message, lui, reste.

«Le Ukip est devenu une force avec le potentiel de récupérer certains sièges conservateurs. Ceux-ci ont décidé de le neutraliser en occupant le même terrain, et ont repris ce langage négatif sur l’immigration», explique Bridget Chapman. En janvier 2016, l’année du référendum, le Premier ministre David Cameron parlait notamment d’un «déferlement» de migrants «entrant par effraction» dans le Royaume-Uni. «Il est maintenant trop tard pour que le gouvernement fasse volte-face, car ces voix leur sont nécessaires, estime l’activiste. On se retrouve donc prisonniers d’une minorité farouchement anti-immigration.» Pour elle, la déshumanisation des réfugiés, dont se défend mollement le gouvernement, est délibérée : «Si on ne voit pas ces gens comme des humains, il n’y a pas besoin de les traiter décemment.» Une «cruauté volontaire» de la part d’élus, qui «pensent que si les conditions d’accueil des migrants ont la réputation d’être mauvaises, ils seront moins nombreux à venir».

«Les gens vont continuer à mourir dans la Manche»

Que penser alors des chiffres qui doublent, et du système d’accueil débordé ? Car il n’est désormais pas rare qu’un millier de personnes débarquent en une journée dans le Kent, et le centre de Manston, conçu pour accueillir un maximum de 1 600 personnes, a été épinglé pour abriter près de 4 000 réfugiés dans des conditions indignes. Les routes légales ont été peu à peu fermées par l’Etat britannique et la traversée est parfois le seul moyen de rejoindre le Royaume-Uni, même pour rejoindre sa famille. «Avant, les gens arrivaient par camion et s’éparpillaient. Les bateaux sont bien plus visuels», souligne Bridget Chapman. Autre problème : le système de traitement des demandes d’asile est ralenti par un manque d’investissements et de personnels.

En juin, il y avait donc plus de 127 000 dossiers en attente de réponse. Moins d’un tiers des dossiers sont traités en six mois, et certaines familles attendent déjà une réponse depuis trois ans. Le nombre de places d’accueil vient donc à manquer, et l’administration n’a d’autre choix que de réserver des chambres d’hôtel, une solution inadaptée et coûteuse – 6,8 millions de livres (7,8 millions d’euros) par jour en octobre, selon la ministre de l’Intérieur. Le Refugee Council estime que le coût des demandeurs en attente depuis plus de six mois s’élevait à 220 millions de livres (253 millions d’euros) en 2021. L’immense majorité des candidats reçoit pourtant une réponse positive. Les associations s’agacent de voir le gouvernement dépenser 140 millions de livres (160 millions d’euros) dans son projet d’envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda, pour l’instant au point mort. Une fraction de la somme aurait suffi à rendre le processus de demande d’asile plus rapide.

Malgré une politique dissuasive, «les gens vont continuer à arriver, et les gens vont continuer à mourir dans la Manche », déplore Bridget Chapman. Le drame d’il y a un an, du naufrage d’un canot pneumatique sur lequel avaient embarqué une trentaine de personnes, ne laissant que deux survivants, a marqué les esprits. L’enquête sur les circonstances du drame, publiée par le Monde, a révélé que les secours français comme anglais n’ont pas répondu aux appels au secours et qu’aucun moyen de sauvetage ne leur a été envoyé. «On espérait que cette tragédie change l’attitude du gouvernement», se rappelle-t-elle. Elle attend toujours.

Commémoration du 24 novembre 2021 : des rassemblements les 24-11-22 et 26-11-22

Commémorations du 24 novembre 2021 : un an après le naufrage dans la Manche faisant 27 mort.e.s et plusieurs personnes disparues, plusieurs rassemblements auront lieu :
Localement :
➡️ A Dunkerque, le 24 novembre dès 18h, RDV à l’hôtel de ville de Dunkerque pour une marche jusque Malo, puis un RDV Place Turenne, toutes les informations à retrouver ici : https://fb.me/e/2h01J7N84
➡️ A Béthune, le 26 novembre, à 17h, RDV à la gare avec une bougie. Plus d’informations sur l’évènement ici : https://fb.me/e/3LzdOPBbs
➡️ A Boulogne sur Mer, le 26 novembre, à 15h, RDV place Dalton.
Mais aussi plus loin :
➡️ A Paris, le 24 novembre, RDV dès 19h Place de la République, plus d’informations ici : https://fb.me/e/22FAzSs6N
➡️ A Rennes, le 24 novembre, RDV dès 18h Place de la Mairie, plus d’informations ici : https://fb.me/e/34uXZoHWf
➡️ A Londres, le 24 novembre, RDV à 18h (heure anglaise) devant l’Abbaye de Westminster, plus d’informations ici : https://fb.me/e/39Nbtelx9
➡️ A Folkestone, le 24 novembre, RDV à Sunny Sand Beach à 19h (heure française), plus d’informations ici : https://fb.me/e/2197uhoOb