Voir Calais et mourir, 367 fois

Texte de Maël Galisson pour « Les jours« . Plus d’infos sur le site de ce media ( graphiques, video, cartes …)

Le lundi 11 janvier 1999, un homme irakien est retrouvé mort dans l’enceinte du port de Douvres, en Angleterre. Caché sous la remorque d’un poids lourd, au niveau des essieux, il venait à peine de franchir la frontière franco-britannique quand les secousses du camion l’ont déséquilibré. Tombé à terre, il a été immédiatement happé et écrasé par les roues. L’identité de cet homme n’est pas connue, pas plus que son histoire personnelle. Sans la vigilance de quelques citoyens britanniques, son décès serait sans doute passé inaperçu.

Il ne s’agit pourtant pas d’un événement isolé. Depuis cette nuit d’hiver, au 15 mai 2023, 367 migrants sont morts entre la zone frontière franco-belge et le Royaume-Uni. C’est ce qu’ont dénombré Les Jours dans un travail aussi inédit qu’exceptionnel. Nom, prénom, âge, nationalité, parcours migratoire, circonstances du décès, photos… Nous avons cherché et compilé pendant plusieurs années toutes les informations possibles sur les exilés disparus le long de cette frontière maritime. Notre « Mémorial de Calais », à découvrir ci-dessous, recense les victimes pour qu’on ne les oublie pas. Il décompte les morts parce que ces vies comptent.

367 morts en un peu moins de vingt-cinq ans. 367 morts au minimum, car les informations manquent pour la période antérieure à 1999. Et dans les années 2000, certaines disparitions sont possiblement restées invisibles aux yeux des médias et des militants. 367 morts, 367 vies qui se sont arrêtées sur ce littoral ordinaire. Une litanie, sourde et sans fin. Comme si un tueur en série sévissait depuis près d’un quart de siècle, sans que les institutions policière et judiciaire ne s’émeuvent. Alors, Les Jours s’autosaisissent, enquêtent en indépendants et remontent le fil d’un carnage silencieux et politique, d’un lieu à l’autre du Calaisis, au rythme des accords entre la France et le Royaume-Uni, comme on le lira dans les prochains épisodes. Mais d’abord, l’investigation commence par le profil type des victimes.

Débutons par une évidence essentielle : dans une très grande majorité, les migrants décédés autour de Calais sont originaires du « Sud global », et plus particulièrement d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Soudanais, Irakiens, Vietnamiens et Chinois représentent plus d’un tiers des victimes. La plupart ont quitté des pays classés comme « régimes autoritaires », selon l’indice de démocratie conçu par le think tank libéral Economist Intelligence Unit.

Les victimes ont fui l’Afghanistan, ravagé par un état de guerre depuis plus de quarante ans, le régime dictatorial d’Isaias Afwerki en Erythrée ou encore la guerre civile au Darfour… Elles sont parties d’Iran, où les Kurdes constituent une minorité marginalisée, cible de la théocratie religieuse  depuis les débuts de la révolution islamique de 1979. Elles sont parties du Kurdistan irakien, aspirant à échapper à une situation politique et socio-économique bloquée,  malgré l’autonomie de leur territoire acquise en 1991. Depuis la fin des années 1980, le nord de la France est devenu une caisse de résonance des soubresauts géopolitiques et du chaos du monde. Implosion de la Yougoslavie, armée américaine en Afghanistan et en Irak, guerre en Syrie, reprise de Kaboul par les talibans… Autant d’événements qui trouvent un écho à des milliers de kilomètres, le long du détroit du Pas-de-Calais.

Ensuite, le « tueur invisible de Calais » frappe principalement des hommes, à 90 %. Les femmes constituent cependant 20 % des victimes vietnamiennes, 19 % des iraniennes, 17 % des irakiennes et 16 % des érythréennes. Dans la nuit du 29 au 30 juin 2015, Zebiba Ali Saïd, une Érythréenne de 23 ans, a ainsi été retrouvée morte sur l’autoroute A16 à la hauteur de Marck, dans le Pas-de-Calais, une commune limitrophe de Calais. Elle a très probablement été percutée par un véhicule. Quelques semaines plus tard, le 24 juillet, une autre jeune Érythréenne, Ghebretnsae Ganet, meurt, elle aussi, après avoir été renversée par un véhicule, à proximité de la bretelle autoroutière menant au tunnel sous la Manche. Le 9 août 2019, Mitra Mehrad, une Iranienne de 31 ans, est morte noyée dans la Manche alors qu’elle tentait de rejoindre l’Angleterre à bord d’une embarcation qui transportait dix-neuf autres personnes. Souvent invisibilisées, les femmes sont pourtant nombreuses sur les routes de l’exil.

Les victimes sont donc surtout des hommes des pays du Sud… jeunes. Leur âge moyen est de 25 ans. Pour la Turquie, il est encore plus bas du fait de la présence d’enfants parmi les morts. En décembre 2001, treize exilés tentaient ainsi de rallier l’Angleterre cachées dans un conteneur chargé sur un navire à Zeebruges, en Belgique. Hélas, celui-ci n’a pas pris la route de Douvres, mais celle de l’Irlande. Enfermées dans ce conteneur-tombeau pendant cinq jours, huit personnes sont mortes, dont Samiye Guler, une femme de 28 ans, et ses deux fils, Imam et Berkam, 9 et 4 ans, ainsi que Hasan Kalendragil et ses deux enfants, Kalender et Zeliha, 15 et 10 ans. Tous étaient originaires du Kurdistan turc.

Le mardi 27 octobre 2020, sept personnes sont mortes noyées au large de Loon-Plage, commune du Nord située entre Calais et Dunkerque. Elles tentaient de franchir la mer du Nord à bord d’une embarcation. Parmi elles, une famille originaire du Kurdistan iranien : Rasul Iran Nezhad, 35 ans, et Shiva Mohammad Panahi, 32 ans, et leurs trois enfants, Anita, Armin et Artin, 9 ans, 6 ans et 15 mois. Depuis des années, une partie de la jeunesse du monde s’échoue mortellement sur le littoral du Nord-Pas-de-Calais.

À cette frontière, il n’y a pas le même nombre de morts chaque année, mais le « tueur » fait des morts chaque année. Sur la frise chronologique ci-dessus, les pics de décès correspondent à des cas de morts collectives. Le 18 juin 2000, cinquante-quatre hommes et quatre femmes, de nationalité chinoise, meurent asphyxiés dans un camion en provenance du port de Zeebruges. Leurs cadavres sont découverts par les douaniers à Douvres. Le 23 octobre 2019, trente-neuf personnes sont retrouvées mortes, également asphyxiées, dans un conteneur remorque, dans une zone industrielle de Grays, en Angleterre. Les huit femmes et trente-et-un hommes sont tous originaires du nord-est du Viêtnam. Le 24 novembre 2021, le naufrage d’une embarcation partie de Loon-Plage fait trente-et-une victimes, dont sept femmes. Elles étaient majoritairement originaires du Kurdistan irakien.

Mais derrière ces cas, visibilisés par une exposition médiatique – et parfois politique – éphémère, se dessine une longue et discrète hécatombe, faite de décès isolés. Des morts percutés par une navette de fret ferroviaire sur le site Eurotunnel, renversés par un véhicule sur l’autoroute, foudroyés par un caténaire au départ de l’Eurostar à Paris, noyés dans le port de Calais ou au large, écrasés par la marchandise dans la remorque d’un poids lourd, broyés par les essieux d’un camion…

Avant-dernier élément dans ce macabre dossier : c’est dans la tentative de franchissement de la frontière elle-même que plus des trois quarts des victimes sont mortes. Ne pouvant prendre le train ou monter sur un ferry du fait de leur irrégularité sur le sol européen, elles ont été asphyxiées dans un conteneur ou la remorque d’un camion pour 28 % d’entre elles. 26 % ont perdu la vie sur la route en tentant de se dissimuler dans un véhicule, 21 % se sont noyées et 7 % sont mortes en essayant de grimper dans ou sur un train. Les homicides, bénéficiant souvent d’une couverture médiatique plus conséquente, ne représentent finalement « que » 6,5 % des décès. Quant aux conditions de vie et à l’environnement hostile auxquels sont confrontés les exilés, ils sont la cause de 4 % des disparitions.

Enfin, la carte chronologique de ces « cold cases » permet d’énoncer une cruelle vérité : à mesure que la frontière s’est militarisée, les exilés n’ont pas moins essayé de franchir les 50 kilomètres qui séparent la France de l’Angleterre, mais ils ont usé de modalités plus risquées et souvent plus lointaines : d’abord les navires, ensuite le site Eurotunnel, puis les aires de repos en amont de Calais, la rocade menant au port, la Belgique… pour aboutir aujourd’hui aux tentatives par la mer. Depuis 1986 et le traité de Canterbury, d’engagements en  accords bilatéraux, Calais se bunkerise  (barrières, barbelés, vidéosurveillance, effectifs de police et de gendarmerie en hausse, patrouilles à cheval, en quad, à moto ou 4×4, drones, etc.) et les morts s’ajoutent aux morts.

Le 10 mars dernier, lors du sommet franco-britannique, Paris et Londres ont encore annoncé la mise à disposition d’une enveloppe de 543 millions d’euros destinée à « lutter contre l’immigration irrégulière » via le déploiement de 500 policiers et gendarmes supplémentaires, l’investissement « dans de nouvelles infrastructures et de nouveaux équipements de surveillance » et la mise en circulation « de drones, d’hélicoptères et d’aéronefs ». Mercredi dernier, le 10 mai, un exilé est mort, après avoir été percuté par un poids lourd sur la rocade menant au port de Calais. Ahmed Youssef Adam avait 30 ans et était originaire du Soudan. Sa mort a laissé peu de traces dans les médias et les discours politiques. L’hécatombe continue.

« Les Etats et les institutions européennes doivent garantir un espace humanitaire en Méditerranée »

« Les Etats et les institutions européennes doivent garantir un espace humanitaire en Méditerranée »

 

A l’occasion de la Journée de l’Europe, le 9 mai, un collectif d’une centaine d’élus, parmi lesquels Martine Aubry, Carole Delga et Grégory Doucet, appelle, dans une tribune au « Monde », les Etats de l’UE à respecter les règles applicables au sauvetage en mer et à mettre fin aux sanctions contre les associations humanitaires.

Publié le 08 mai 2023 dans Le Monde 

Les collectivités territoriales agissent au quotidien pour garantir la dignité des femmes, des hommes et des enfants qui subissent les effets de la précarisation ou sombrent dans l’extrême pauvreté. Villes, départements et régions soutiennent et accompagnent ces populations sur le fondement des principes de solidarité et d’humanité.

Ce que nous faisons sur nos territoires, pour porter assistance aux personnes en difficulté et en détresse sociale, nous le faisons aussi par-delà, notamment en soutenant les opérations vitales de recherche et de sauvetage de SOS Méditerranée. Ici ou là-bas, ce sont ces mêmes principes qui fondent et motivent nos actions : la main tendue à terre, par l’intermédiaire de nos organismes sociaux, est la même main que celle qui est tendue en mer par les marins sauveteurs de SOS Méditerranée, lesquels ont sauvé plus de 37 000 personnes de la noyade depuis février 2016.

Cet attachement à garantir avant tout le droit à la vie et à la dignité, quels que soient les territoires et quelles que soient les personnes, diffère de la démarche menée par les gouvernements de l’Union européenne (UE). En enchâssant le sauvetage des personnes en détresse dans le carcan de la politique migratoire, ces derniers ont réduit ce devoir élémentaire d’assistance à une question de contrôle des espaces, des personnes et des associations de sauvetage.

Dans un contexte de crise politique prolongée sur la question de l’asile et de l’immigration, les Etats européens ont focalisé les débats et les actions sur les contrôles aux frontières extérieures de l’UE. Cela s’est traduit par un soutien croissant aux gardes-côtes libyens, par un retrait des moyens navals de Méditerranée et par une augmentation des pouvoirs et moyens de l’Agence européenne de coordination des contrôles aux frontières extérieures, Frontex.

Un marchandage dangereux

Par ailleurs, en liant sauvetage et politique migratoire, ils ont modifié les bases du débat. En droit, le devoir d’assistance en mer s’applique à tous les capitaines de navire ; seules la coordination des opérations de sauvetage et la désignation d’un port sûr de débarquement relèvent de la compétence et des obligations des Etats côtiers. Or, en situant la question du secours en mer dans le champ de la politique migratoire, les Etats l’ont enfermée dans le domaine de leur compétence et de leur souveraineté exclusives. Ce mouvement a été accompagné par une délégitimation des organisations non gouvernementales opérant en Méditerranée et par une intensification des contraintes légales (signature de codes de conduite) et administratives (contrôles approfondis après débarquement) à leur encontre, entravant toujours plus leurs opérations vitales de secours.

Ces orientations ont conduit les Etats européens à conditionner les débarquements à une négociation préalable pour déterminer qui accepterait de prendre les personnes rescapées sur son territoire, et combien. Ce marchandage a parfois duré de longues semaines, mettant en danger tant les personnes secourues que les équipages.

La nouvelle stratégie des autorités maritimes italiennes, obligeant, depuis fin décembre 2022, les navires humanitaires à rallier un port de débarquement très lointain après un premier sauvetage, a pour conséquence d’éloigner ces derniers des zones de détresse, alors que les moyens déployés y font déjà cruellement défaut.

Pendant ce temps, le décompte macabre se poursuit : selon une estimation basse de l’Organisation internationale pour les migrations, au moins 26 000 personnes qui tentaient de rejoindre l’Europe sur des embarcations de fortune ont péri noyées en Méditerranée depuis 2014.

Secourir sans conditions

Au moment où débutent les semaines de l’Europe, et à une année des élections européennes, nous, maires et présidents des 94 communes, intercommunalités, métropoles, départements et régions solidaires de SOS Méditerranée, souhaitons rappeler que le sauvetage en mer est un devoir moral et légal qui relève tout à la fois du rôle des Etats, des institutions européennes et des acteurs de la société civile.

Nous refusons de fermer les yeux face au drame humain qui se joue chaque jour en Méditerranée et exhortons les Etats et les institutions européennes à penser de manière globale, de l’international au local, et sur le long terme, une politique d’accueil des personnes exilées à laquelle nous nous engageons de continuer à prendre toute notre part.

Nous leur demandons de faire respecter les règles applicables au sauvetage en mer et d’abolir les sanctions contre les associations humanitaires, alors qu’elles portent secours aux personnes en détresse en mer dans le strict respect du droit international.

Nous leur demandons de garantir que les personnes secourues en haute mer puissent être débarquées dans un lieu sûr, sans conditions et dans les meilleurs délais.

Nous les invitons, enfin, à maintenir un espace humanitaire ouvert en haute mer. L’assistance inconditionnelle à personne en détresse doit être rétablie dans sa plénitude, tant au regard des espaces que des acteurs. C’est une obligation tout autant qu’une urgence.

Premiers signataires : Nathalie Appéré, maire (Parti socialiste, PS) de Rennes ; Martine Aubry, maire (PS) de Lille ; Jeanne Barseghian, maire (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) de Strasbourg ; Carole Delga, présidente (PS) de la région Occitanie ; Grégory Doucet, maire (EELV) de Lyon ; Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris ; Michel Ménard, président (PS) du département de Loire-Atlantique ; Benoît Payan, maire de Marseille ; Johanna Rolland, maire (PS) de Nantes ; Sébastien Vincini, président (PS) du département de la

Naufrage de 27 migrants au large de Calais en 2021

Une dizaine de personnes, dont des militaires du Centre régional de secours en mer, ont été placées en garde à vue dans l’enquête sur la mort de 27 migrants après le naufrage de leur bateau dans la Manche fin 2021. Cinq sont mis en examen.
 

par Libération et AFP, publié le 25 mai 2023

Dix-huit mois après l’émotion, l’enquête avance. Cinq militaires ont été mis en examen ce jeudi 25 mai à Paris pour non-assistance à personne en danger dans l’enquête sur le naufrage d’un canot, dans la Manche, le 24 novembre 2021, emportant 27 passagers, majoritairement des Kurdes irakiens âgés de 7 à 46 ans. Il s’agit de trois femmes et deux hommes en fonction au moment des faits au Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris-Nez (Pas-de-Calais), chargé des secours dans la Manche. Ces mises en examen font suite aux gardes à vue d’une dizaine de personnes puis à leur présentation devant le magistrat instructeur de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) du tribunal judiciaire de Paris.

Le fait que certains des mis en cause soient des militaires du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Gris-Nez (Cross, Pas-de-Calais) pourrait entraîner des spécificités procédurales. Dans ce dossier, il est reproché aux autorités françaises de ne pas avoir répondu positivement à la quinzaine d’appels au secours des migrants en train de se noyer. Personne ne leur est venu en aide. Ni côté français, ni côté britannique, chacun passant la nuit à se renvoyer la balle, selon des documents de l’enquête. Deux seulement avaient pu être repêchés.

Le directeur du Cross Gris-Nez n’a pas souhaité réagir. «Tous les opérateurs actuellement au Cross Gris-Nez ou embarqués ont toute la confiance du préfet pour conduire les opérations de sauvetage en mer», a commenté la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord. «L’affaire suit son cours et l’instruction n’est pas de notre ressort», a-t-elle ajouté.

Ces éléments, qui concordent avec les déclarations des deux survivants, ont secoué le Cross Gris-Nez, chargé des secours dans la Manche, et ont suscité la «consternation» des associations d’aide aux migrants. Lors de précédentes auditions dans cette enquête, des agents du Cross avaient invoqué le manque de moyens qui contraint «à prioriser». Ce soir-là, le Cross a traité «des centaines, voire des milliers d’appels», avait rapporté l’un d’eux.

«Si à un quelconque moment il y a eu un manquement, une erreur, les sanctions seront prises», avait aussi assuré en novembre le secrétaire d’Etat Hervé Berville, reconnaissant un «effroi» à la lecture des informations de presse. Dix passeurs présumés, majoritairement afghans, ont été mis en examen dans l’information judiciaire parisienne sur ce drame, qui a fait monter la tension entre Paris et Londres. Mais sans décourager les candidats à l’Angleterre. Une enquête est également en cours outre-Manche. Les autorités britanniques ont annoncé fin novembre avoir arrêté un homme, «suspecté d’être un membre du groupe criminel organisé qui a conspiré pour transporter les migrants au Royaume-Uni à bord d’un petit bateau».

Loi immigration : face au «marchandage» entre le gouvernement et LR, l’inquiétude des associations de terrainn

Libération, Gurvan Kristanadjaja, publié le 29 mai 2023

Le projet de loi, maintes fois repoussé, devrait être présenté à l’automne. Les exigences très répressives des députés Les Républicains, indispensables à l’adoption du texte, font craindre aux acteurs associatifs une législation parmi les plus dures jamais votées sous la Ve République.

Après les retraites, place à l’immigration. En prenant la parole dans une grande interview donnée au Parisien ce week-end, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ouvre la voie à une nouvelle séquence. Le projet de loi immigration, dont l’examen a été plusieurs fois repoussé mais qui reste vivement souhaité par le pensionnaire de Beauvau, doit être à nouveau présenté à l’automne au Sénat puis à l’Assemblée nationale. Avant même d’en connaître les grandes lignes, il s’agit dès à présent pour le gouvernement de préparer le futur vote et de trouver des «compromis» avec les députés LR sur des mesures phares, avec pour objectif de s’éviter l’hypothèse d’un nouveau 49.3.

Les ténors de droite, Eric Ciotti en tête, ont déjà formulé des propositions la semaine passée : notamment inscrire dans la Constitution la possibilité de déroger aux traités et au droit européen en matière d’immigration, supprimer l’aide médicale d’Etat et exclure du texte la régularisation des travailleurs sans-papiers des métiers en tension. Des mesures, jugées «très dures» par les observateurs, qui placeraient d’office le texte en tête des lois les plus répressives jamais votées sous la Ve République en matière d’immigration. «On peut garder notre texte, déjà adopté par la commission des lois du Sénat, en discutant ensemble des amendements pour le modifier. Les LR voudraient absolument qu’on redépose ensemble un nouveau texte de loi ? Nous y sommes prêts s’il est discuté avec les centristes et les radicaux», a affirmé Gérald Darmanin dans le Parisien«Chacun doit faire un pas» en vue d’un compromis entre la majorité présidentielle et Les Républicains, a exhorté le ministre de l’Intérieur, estimant par ailleurs qu’il n’y aurait pas «d’accord à n’importe quel prix».

«Mesures nauséabondes»

Ce projet de loi pourrait pourtant bien marquer une rupture pour Emmanuel Macron. Jusqu’à présent, le Président s’inscrivait dans la doxa «humanité et fermeté». Comprenez : si les macronistes formulent une mesure répressive en matière d’immigration, une autre, plus «humaniste» doit venir dans la balance. A l’été dernier, par exemple, Gérald Darmanin avait suggéré la création d’un «titre de séjour métiers en tension», qui devait ouvrir la voie à une régularisation des travailleurs sans-papiers dans des secteurs en souffrance, pour compenser les dispositions censées faciliter les expulsions. Mais pour obtenir les votes de LR farouchement opposés aux régularisations, le gouvernement se dit désormais prêt, selon Beauvau, à porter à «cinq, six ou sept ans» la condition de résidence pour obtenir le titre de séjour, à fixer à 1,5 smic la condition de revenus, et à ajouter l’obligation d’avoir un CDI. Autant d’ajustements qui en limiteraient considérablement l’intérêt.

De nombreux acteurs et observateurs associatifs, syndicaux et politiques déplorent également de n’avoir pas été consultés dans l’élaboration du texte. «L’interview de Gérald Darmanin est inquiétante car elle va dans le sens de ce qu’on craignait, c’est-à-dire le début d’un marchandage sans fin avec Les Républicains concernant des mesures toutes plus nauséabondes les unes que les autres. Le gouvernement a l’idée de faire à tout prix ce texte et ils sont prêts à rogner sur des fondamentaux pour cela. C’est l’exemple typique d’une instrumentalisation des questions migratoires à des fins politiques», estime Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d’asile. «D’aller faire les yeux doux à la droite ou à l’extrême droite, de considérer qu’un étranger en situation irrégulière n’a pas de possibilité de se soigner, c’est une vision de notre société très effrayante», abonde Jean-Albert Guidou, qui accompagne pour la CGT les travailleurs sans-papiers. «C’est une course à l’échalote sur le sujet “plus dur que moi tu meurs” avec les LR qui pensent se refaire une santé avec un discours martial de droite dure. On ira vers un durcissement du texte et le “en même temps” va finir par être un grand écart sur l’immigration qui fait mal aux adducteurs», estime de son côté Borris Vallaud, député PS de la 3e circonscription des Landes, qui assure que la gauche «formulera des propositions».

«Consensus»

Surtout, ce projet de loi est le révélateur d’une incompréhension grandissante entre le gouvernement et les différents acteurs de la société civile.

«On est de plus en plus inquiets de voir le décalage entre les recherches sur les questions d’immigration dans le monde universitaire et scientifique et le monde politique, qui ne se nourrit pas de ces travaux, regrette Delphine Rouilleault. Sur la question des travailleurs sans-papiers, sur celle de l’aide médicale d’Etat, il y a un consensus des personnes qui connaissent les questions migratoires. Mais c’est le même raisonnement que sur les questions environnementales : les politiques font comme si les travaux scientifiques n’existaient pas. Au lieu de cela, ils vont alimenter les réflexes populistes.»

A Vintimille, le « cycle infini » des migrations transfrontalières

Par Allan Kaval(Vintimille (Italie), envoyé spécial), publié dans le Monde du 15 mai 2023

 

L’augmentation des arrivées de migrants en Italie, depuis le début de l’année, a pour conséquence d’accentuer les tentatives de passages en France. Les contrôles intensifiés par Paris ont transformé la ville italienne proche de la frontière en goulot d’étranglement pour les réfugiés.

Entre la localité de Grimaldi, la dernière d’Italie, et la commune française de Menton, où la Côte d’Azur se fond dans la Riviera italienne, les anciennes villas d’aristocrates anglais du XIXe siècle, les bougainvilliers et les eaux bleues de la Méditerranée servent depuis huit ans de décor à une crise migratoire permanente. Depuis 2015, la France y renouvelle systématiquement la suspension exceptionnelle de la liberté de circulation. Des hommes et des femmes tentent de franchir la frontière, d’autres les arrêtent, les renvoient vers l’Italie. Ce mouvement de pendule recommence, prenant des voies plus dangereuses. En huit ans, plusieurs dizaines de personnes y ont perdu la vie.

Avec le rétablissement des contrôles dans les trains, sur les routes et dans les sentiers qui parcourent les collines calcaires du littoral, cette voie migratoire historique a transformé la ville de Vintimille, distante de sept kilomètres, en goulot d’étranglement. De loin en loin, s’y répercutent les frictions ponctuelles qui affectent les relations entre Rome et Paris sur le dossier migratoire, comme lorsque, le 4 mai, le ministère français de l’intérieur, Gérard Darmanin, a jugé jugé la présidente du conseil d’extrême droite, Giorgia Meloni,  « incapable » de gérer les flux migratoires en Italie.

Ces déclarations intervenaient alors que l’Italie a enregistré dans les premiers mois de 2023 une nette progression des arrivées de migrants en provenance des côtes d’Afrique du Nord. Le ministère de l’intérieur italien a dénombré un afflux de 42 000 personnes en Italie par la Méditerranée en 2023, contre 11 000 sur la même période l’année précédente, avec surtout l’intensification de départs de Tunisie de migrants venus d’Afrique subsaharienne, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. En réaction, le gouvernement italien a déclaré un état d’urgence migratoire et remis en cause le régime de protection internationale en vigueur dans le pays.

« Une histoire sans fin »

Mécaniquement, ces nouveaux flux se répercutent à la frontière avec la France. Dans les municipalités de la Côte d’Azur, dominées par Les Républicains, on parle de structures d’accueil saturées par des mineurs étrangers non accompagnés et on se dit à l’aube d’un été qui s’annonce particulièrement tendu. Depuis janvier, 40,8 % des personnes qui ont débarqué sur les côtes italiennes sont originaires d’Afrique subsaharienne francophone, d’après les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Dans un contexte de surenchère politique sur la question migratoire, le gouvernement français a annoncé fin avril l’envoi de cent cinquante policiers et gendarmes supplémentaires et la création d’une « border force » impliquant gendarmes, policiers et militaires, visant à maintenir les migrants du côté italien. La préfecture des Alpes-Maritimes a autorisé l’usage de drones pour la surveillance de la frontière entre le bord de mer et les sentiers pédestres de l’arrière-pays.

Depuis le poste frontalier de la police italienne, situé sur le pont San-Luigi, où passe la route qui mène à Menton depuis l’Italie, le renforcement du dispositif français se manifeste pour l’instant par la présence en contrebas, sur le pont Saint-Ludovic, de neuf nouveaux fourgons des forces de l’ordre. « Renforcer les contrôles, boucler la frontière ne va pas résoudre les problèmes de fond », juge un officier de la police nationale italienne détaché auprès de Frontex, l’agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures de l’espace Schengen. « Sans politique européenne de répartition des flux, les migrants vont continuer à venir, à être refoulés, à retenter leur chance et à prendre des risques », juge-t-il, indiquant qu’il a pu observer la situation à Vintimille, depuis 2015, sans jamais y percevoir de changement significatif. « C’est une histoire sans fin, un cycle infini », résume-t-il.

Dans les locaux du poste frontalier, une dizaine de jeunes hommes originaires d’Afrique subsaharienne attendent de repasser en France. Considérés au jugé majeurs par les policiers français, mais connus comme mineurs par leurs homologues italiens qui les ont identifiés grâce à leurs empreintes digitales, ils sont censés faire l’objet de protections particulières de la part des autorités françaises, qui ne devraient pas pouvoir leur refuser l’entrée. Parmi les humanitaires opérant dans la zone, on décrit ces allers-retours quotidiens comme une partie de « ping-pong migratoire » entre les deux pays.

42 morts depuis 2015

Au même moment, quatre silhouettes longent la voie de chemin de fer qui court, parallèle, en contrebas de la route. Le conducteur du TER bleu de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur fait hurler sa sirène avant de les frôler dangereusement. Les organisations de défense des droits des migrants ont dénombré 42 morts depuis 2015 parmi ceux qui ont pris des risques pour traverser cette portion de frontière, un chiffre que leurs représentants jugent en deçà de la réalité. En janvier, un jeune homme a ainsi été retrouvé mort électrocuté : il avait tenté d’éviter, en montant sur le toit du train, les contrôles systématiques opérés par la police française.

Pour les personnes refoulées, le retour à Vintimille s’impose. Ils y subsistent dans des conditions dégradées, passant leurs nuits à la rue ou se fixant en marge de la ville, dans des cabanes et des tentes, sous un pont routier où prospèrent parmi les immondices les rats, ainsi que deux sangliers et leurs petits. « La frontière produit depuis huit ans une situation humanitaire préoccupante pour les personnes en transit, observe Giulia Berberi, cheffe de projet locale de Médecins du monde (MDM). Au fil des ans, l’Etat italien s’est retiré, laissant les acteurs privés assurer le minimum. »

Médecins sans frontières mis à part, les ONG actives dans la région, MDM, Save the Children, WeWorld, se sont regroupées dans les locaux de Caritas, le Secours catholique italien, où sont servis à une immense majorité de migrants en transit des repas de plus en plus nombreux. Dans le parking poussiéreux qui jouxte le bâtiment, une trentaine de nouveaux arrivants se sont installés sur des cartons. « Retourner en arrière est impossible », confie parmi eux un trentenaire guinéen qui a souhaité rester anonyme. Il est arrivé deux semaines plus tôt après avoir fui la déferlante d’attaques racistes contre les migrants subsahariens, qui se déchaîne depuis le début de l’année en Tunisie. Quel que soit le résultat du durcissement annoncé des contrôles frontaliers côté français, il assure qu’il continuera, refoulement après refoulement, à tenter de trouver une brèche, à avancer.

 

Lettre d’info de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s n°76 – 2 mai 2023

La lettre d’info de la Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s

n°76  // 2 mai 2023
Réseau d’associations intervenant dans les campements d’exilé.e.s de passage
du nord de la France et du littoral de la Manche

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Infos des lieux de vie 

à la frontière franco-britannique

  • Dans le Dunkerquois, de nombreuses familles avec enfants dont de très jeunes bébés et des femmes enceintes sont présentes dans le camp de Mardyck. Les mineurs non accompagnés sont toujours plus nombreux. Très peu d’accès aux douches : le départ de Help4Dunkerque rend la situation plus compliquée. Un mois de passage intense, notamment sur la semaine de Pâques avec plus de 1000 personnes qui ont réussi à passer au Royaume Uni mais aussi un grand nombre de personnes trempées et en détresse sur les routes.
  • A Calais, le dimanche 2 avril, « des policiers ont repoussé à coup de gaz lacrymogènes une trentaine de personnes dont quatre enfants de 1, 4, 14 et 16 ans qui tentaient de traverser la Manche. Les policiers ont ensuite mis feu à l’embarcation avant d’abandonner tout le monde sur la plage« . selon l’association Utopia 56 qui saisit une nouvelle fois l’IGPN et le Défenseur des Droits pour dénoncer ces violences policières réelles et trop fréquentes.

Crédits photo : FRANCOIS LO PRESTI / AFP

et ailleurs

  • A Paris, environ 200 jeunes mineurs non accompagnés se sont installés le 4 avril  dans une école désaffectée du 16ème arrondissement. Comme toujours ils réclament une mise à l’abri et l’Etat « fait la sourde oreille ». C’est pourtant une obligation de les protéger.

    A Paris aussi, des propriétaires privés s’organisent : des tentes de personnes exilées dans des locaux de start-up. Face à la saturation des centres d’hébergement et aux expulsions de réfugiés hors de la capitale, des propriétaires privés mettent temporairement leurs locaux vacants à la disposition d’associations d’aide aux personnes en exil. «D’un côté, j’ai des locaux vides parce qu’on veut les rénover bientôt et de l’autre, il y a des jeunes qui dorment dehors. Pourquoi ne pas leur en faire profiter ?», explique un chef d’entreprise. A lire ici

Paris, le 30 mars 2023. Ava du Parc/Libération

  • A Lampedusa, les personnes en exil sont parquées dans des camps et placées sous la haute surveillance de l’armée et de la police. Les volontaires qui sortent du camp ne sont pas autorisés à parler, sinon leurs ONG n’auront plus le droit d’y travailler. Enzo Riso, pêcheur, est volontaire pour l’église de Lampedusa « C’est invivable dedans, invivable », raconte-t-il. « Leur excuse, c’est qu’il y a 3 000 personnes dans ce camp au lieu de 300. Mais c’est complétement délabré : les toilettes, tout… Ils dorment dehors. C’est indescriptible ! ». Voir aussi la rubrique Pour comprendre 

Un camp sous bonne garde de l’armée. Bruce de Galzain/Radio France

Infos de la PSM

  • La PSM tiendra son assemblée générale le samedi 27 mai à Boulogne-sur-mer. Nous vous attendons avec du café et autres gourmandises à 9h15. La matinée sera consacrée aux points statutaires de l’AG. Nous partagerons le midi un repas, ce sera « auberge espagnole ». L’après-midi, on votera  avant de se quitter à 15h. Inscrivez-vous ! C’est ici.
  • Des nouvelles des étudiants et étudiantes du diplôme Médiation-interprétation et du partenariat PSM-Université de Lille. Leur premier stage a eu lieu dans les associations du réseau PSM. Auprès des équipes de Médecins du Monde, du Refugee Women Centre à Grande-Synthe ou encore à l’accueil de jour du Secours Catholique à Calais, les étudiant.e.s ont pu apprendre à connaître chacune des associations et acquérir l’expérience nécessaire à leur futur travail. Ils et elles ont renforcé les équipes et activités du réseau : l’accès aux droits et à l’information des personnes exilées à la frontière. Si vous souhaitez accueillir des étudiant.e.s, contactez-nous !
  • Le film documentaire « Avec les mots des autres« , en partenariat avec la commission Santé mentale de la PSM continue sa tournée dans le Nord. Retrouvez-nous : le 9 mai à Villeneuve d’Ascq au Cinéma le Méliès, le 10 mai au Studio 43 à Dunkerque, et le 11 mai à l’Alhambra de Calais. Les projections seront suivies d’une discussion en présence du réalisateur, Antoine Dubos. Si vous souhaitez organiser une projection dans votre ville, les informations sont ici . Pour en savoir plus sur l’Orspere-Samdarra, observatoire sur la santé mentale et les vulnérabilités sociales (précarité, migrations…), c’est ici

Infos des assos

  • Le Secours Catholique recherche un médiateur ou une médiatrice interculturel.le et interprète auprès des personnes exilées à Calais. C’est un CDD de 12 mois à temps plein. Les missions principales : développer l’accès à l’information des personnes exilées ; permettre la participation des personnes exilées aux actions du Secours Catholique ; contribuer à la vie de l’équipe. Plus d’informations ici. N’hésitez pas à diffuser l’offre aux personnes qui pourraient être intéressées !

Faire et dire, les personnes premières concernées

  • Arezo Rahimi, de Kaboul à Madrid, la quête de liberté par amour du football. Arrivée en Espagne après le retour des Talibans au pouvoir en août 2021, l’ancienne présidente de la fédération féminine de football d’Afghanistan, Arezo Rahimi, reste toujours attachée au ballon rond. Malgré les difficultés liées à sa nouvelle vie, Rahimi continue de travailler dur pour accomplir ses objectifs, et aider à mettre en lumière la cause des réfugiés en développant des projets liés au football féminin. Portrait.

Arezo Rahimi. Crédit : CEAR

 

Belles échappées

  • Le retour du Refugee Food Festival du 5 au 26 juin. Ce sera la 8ème édition. Refugee Food organise nombre d’activités autour de la sensibilisation et l’insertion professionnelle des personnes réfugiées. Désormais 13 villes de France accueilleront des cuisiniers et autres artisans du goût réfugiés en France qui dévoileront leur savoir-faire autour de menus à quatre mains réalisés au sein d’établissements de tous horizons, de la table étoilée au bistrot de quartier. L’évènement sera une fois de plus l’occasion de démontrer que la cuisine peut, plus que jamais, réunir autour de valeurs fédératrices telles que le vivre ensemble et la culture du lien social. Surveillez la programmation locale !
  • A relire ou découvrir : « Les ritals » de Cavanna. Les Ritals, ce sont les Italiens venus en France pour travailler entre 1930 et 1940. Ce roman nous rappelle aussi que « l’étranger » change souvent de nationalité mais que c’est toujours la même histoire. « Eldorado » de Laurent Gaudé : « À Catane, le commandant Salvatore Piracci travaille à la surveillance des frontières maritimes. Il sillonne la mer, de la Sicile à la petite île de Lampedusa, pour intercepter les bateaux chargés d’émigrés clandestins ». Catane, un port encore d’actualité.

       

 

Parlons-en : échanges, débats, conférences, formations

  • « L’homme qui flotte dans ma tête ». Véronika Boutinova fera une présentation, une lecture, une vente de son roman le 11 juin à partir de 15 h à la résidence d’auteur-ices L’Aiguade au 736 route de Guines à Hames-Boucres. « Les frontières tuent, à Calais-Barbelés, en Europe. Par le biais de sa chevelure immense, mon héroïne Magda entend les voix des noyés, et surtout celle d’un homme qui insiste – Il faut que tu me noies, il faut que tu me noies ! – Magda part à sa recherche« .
    Ce texte a donné lieu à un spectacle qui tourne encore dans la région et sera visible l’an prochain au théâtre de la Verrière à Lille.

Désinfox, outils pour lutter contre les idées reçues

  • « Femmes et Migrations », une table ronde organisée par Sciences Po-Ceri (Projet PACE) et l’association Désinfox-Migrations. A l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, des chercheurs et journalistes interrogent les cadrages médiatiques des parcours migratoires des femmes.
    Souvent réduites au regroupement familial ou simplement invisibilisées, en quoi leurs trajectoires se distinguent de celles des hommes ? L’émigration est-elle vecteur d’émancipation ou d’exploitation ? Comment les médias rendent compte de la complexité des expériences et des enjeux des migrations féminines ? Le podcast est en ligne.

En quête de droit(s) – Outils et infos juridiques

  • Dans le rapport d’activité de l’année 2022 la Défenseure des droits, Claire Hédon,  rend compte de son action. Elle alerte entre autres sur la dégradation des droits fondamentaux des personnes étrangères : « Le nombre de réclamations les concernant atteint, en 2022, un niveau jamais connu dans l’institution. Des personnes sont placées en situation irrégulière uniquement parce qu’elles n’arrivent pas à prendre de rendez-vous en préfecture, ou qu’elles
    n’obtiennent pas de réponse« .

  • Des personnes migrantes saisissent le Conseil constitutionnel. En question,  des refoulements violents à la frontière croate et l’inaction de la justice. Désormais arrivés en Allemagne où elles ont demandé l’asile, ces cinq personnes sont soutenues dans leur démarche par le Conseil néerlandais pour les réfugiés et le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains. Plus d’informations ici.
  • Expulsion illégale : la France contrainte de faire revenir une Ivoirienne de 22 ans. Le 30 mars 2023, la Préfecture de Dordogne a expulsé une jeune femme en Côte d’Ivoire alors même que le Tribunal administratif, saisi en contestation de la décision d’expulsion, n’avait pas encore statué sur sa situation. La Cimade interpelle l’autorité administrative. Vendredi 7 avril, la préfecture de Périgueux admet « une erreur » dans l’application de la procédure d’expulsion et affirme qu’elle est en train d’organiser un retour en France.

Pour comprendre / pour cogiter

  • Face à la forte hausse d’arrivées sur les côtes italiennes ces derniers mois, Rome a réagi en annonçant, le 11 avril, l’instauration d’état d’urgence dans le pays pour une durée de six mois. Un fonds de cinq millions d’euros doit être créé, notamment pour permettre de « décongestionner » le centre d’accueil surpeuplé de Lampedusa. C’est ici. 

600 personnes sauvées et amenées dans le port de Catane, en Sicile, le 12/04/2023 (Orietta scardino/Ansa)

  • Il a secouru trop de personnes ! Le navire humanitaire « Louise Michel » de Banksy est immobilisé sur l’île de Lampedusa en raison d’un durcissement de la législation par le gouvernement de Giorgia Meloni.« Selon ce nouveau décret, une fois qu’on a des rescapés à bord, on n’a pas le droit d’effectuer d’autres opérations de sauvetage. On a effectué trois sauvetages supplémentaires. On nous empêche de faire un travail qui est essentiel. Les garde-côtes n’ont pas assez de moyens pour répondre à tous les appels de détresse. Cette politique est meurtrière ». Reportage.

Bruce de Galzain / radiofrance

  • Le parlement européen vote en faveur du pacte asile et migration, promis par Bruxelles depuis 2019.  Les députés européens ont arrêté leur position sur des textes-clés du paquet asile et migration, afin de négocier leur mise en œuvre avec les Vingt-Sept. Si les élu.e.s ont su trouver un compromis, les Etats membres de l’Union européenne (UE) en sont encore loin. Les Vingt-Sept ne parviennent toujours pas, en effet, à s’entendre au conseil des affaires intérieures sur ces relocalisations obligatoires. A lire ici

 


Plateforme des Soutiens aux Migrant.e.s
www.psmigrants.org

Le Parlement européen vote en faveur du pacte asile et migration

Le Parlement européen vote en faveur du pacte asile et migration

Alors que les arrivées irrégulières en Europe repartent à la hausse depuis la fin 2022, les députés européens ont arrêté leur position sur des textes-clés du paquet asile et migration, afin de négocier leur mise en œuvre avec les Vingt-Sept.

Publié le 20 avril 2023 dans Le Monde,

Par Philippe Jacqué(Bruxelles, bureau européen)

 

Une étape importante a été franchie sur le chemin d’un pacte européen pour l’asile et la migration, promis par Bruxelles depuis 2019. Jeudi 20 avril, le Parlement européen a voté en faveur de quatre textes essentiels du paquet législatif sur ce sujet si sensible, alors que les arrivées irrégulières sont largement reparties à la hausse depuis la fin de l’année 2022, avec une progression de 26 %, et de 33 % s’agissant des demandes d’asile au premier trimestre.

Le projet de règlement gérant les « situations de crise », de loin le texte le plus discuté et le plus polémique, a été confirmé par 419 voix pour, rassemblant l’essentiel des groupes du centre gauche au centre droit (dont le Parti populaire européen, PPE), et 129 voix contre. Parmi ces derniers, figurent les eurodéputés français Les Républicains (membres du PPE), comme François-Xavier Bellamy, Nadine Morano ou Brice Hortefeux, ainsi que les élus d’extrême droite derrière le patron du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella. En première ligne dans l’accueil des migrants, les élus italiens, eux, ont voté pour, notamment ceux de la Ligue du Nord et de Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de Giorgia Meloni, la présidente du Conseil italien.

Ce texte est emblématique car il doit permettre à un Etat, en cas d’arrivée massive et soudaine de ressortissants de pays tiers à ses frontières ou sur ses côtes – comme aujourd’hui en Italie – d’activer, après avis de la Commission, un dispositif de relocalisation obligatoire des nouveaux venus dans d’autres pays.

« C’est un pas dans le bon sens », assure Juan Fernando Lopez Aguilar, l’eurodéputé espagnol socialiste président de la commission des libertés civiles, qui a suivi l’élaboration de ce texte et a fini par trouver un consensus global sur le sujet. « Nous sommes unis, c’est assez rare pour le souligner, sur les migrations », confiait, quelques jours avant le vote, son collègue allemand Jan-Christoph Oetjen (Renew).

Durcissement politique

Si les élus ont su trouver un compromis, les Etats membres de l’Union européenne (UE) en sont encore loin. Les Vingt-Sept ne parviennent toujours pas, en effet, à s’entendre au conseil des affaires intérieures sur ces relocalisations obligatoires. En limitant leur portée aux seules situations de crise, le Parlement tente de les convaincre d’avancer sur cette voie. Aujourd’hui, un dispositif de relocalisations volontaires est bien expérimenté depuis l’été 2022, mais elles se font au compte-gouttes et ses résultats restent très décevants.

Avec le durcissement politique en cours des gouvernements, tant en Suède qu’en Finlande ou encore dans les pays d’Europe centrale, l’idée même de recevoir sur le territoire des demandeurs d’asile est de moins en moins envisagée par une grande partie des Etats. Tout au plus, l’idée d’aider financièrement ou par le biais de la fourniture de matériel est évoquée, mais pas encore réellement acceptée. La négociation s’annonce donc rude d’ici au conseil des affaires intérieures, prévu au début du mois de juin sur le sujet, qui permettrait d’ouvrir les négociations finales pendant l’été.

Afin d’éviter, ou au moins de ralentir tout mouvement secondaire de migrants – une constante depuis dix ans à chaque arrivée de réfugiés – les eurodéputés proposent dans un second texte sur la gestion de l’asile, également adopté, de revoir les critères pour déterminer la responsabilité des Etats membres dans le traitement d’une demande d’asile (les critères dits de Dublin) et le partage équitable des responsabilités.

Au lieu d’en revenir au seul critère du point d’entrée sur le territoire européen pour définir le pays chargé de la demande d’asile, les eurodéputés proposent que les réfugiés puissent déposer leur demande dans les pays où ils disposent d’un « lien significatif » : des attaches familiales, des attaches culturelles, des lieux où ils ont étudié, etc.

Les demandes d’asile progressent

Roberta Metsola, la présidente du Parlement, membre du groupe PPE, a salué ce vote. « Aujourd’hui, le Parlement dispose d’un mandat fort pour commencer des négociations sur le pacte, la migration et l’asile. » La commissaire aux affaires intérieures, Ylva Johansson, s’est dite également satisfaite : « Les larges majorités sur tous les textes montrent que notre approche pragmatique, pratique et surtout européenne de la migration, bénéficie d’un soutien politique sérieux. Nous progressons. »

La Commission espère en effet que l’application des textes permettra notamment de faciliter à la fois la gestion et, lorsque les migrants arrivant, ou sauvés en mer, n’entrent pas dans les critères de l’asile, qu’ils puissent être rapidement renvoyés dans leur pays d’origine.

« Les textes qui aménageront au niveau européen l’accueil ne régleront pas un problème de fond : ces personnes veulent entrer coûte que coûte en Europe pour y trouver une meilleure vie que dans le pays d’où elles viennent », relativise un expert spécialiste de l’asile.

Après une baisse des arrivées en Europe pendant la crise du Covid-19, leur nombre a progressé de 26 % au premier trimestre 2023, selon l’agence Frontex. Près de 54 000 personnes ont bravé la mer ou contourné les murs pour rejoindre les côtes européennes ou la voie des Balkans. Sur le corridor central de la Méditerranée, entre la Tunisie, la Libye, Malte ou l’Italie, les arrivées ont explosé de 308 %, par rapport au premier trimestre 2022, avec 27 000 arrivées recensées.

Les demandes d’asile progressent parallèlement. Selon l’Agence de l’Union européenne pour l’asile, 275 393 demandes de protection, en augmentation de 33 % au premier trimestre, ont été déposées dans toute l’UE. Et cette tendance à la hausse pourrait s’accroître encore, selon la situation des pays de provenance, notamment en Afghanistan, en Syrie, en Turquie et en Tunisie. L’agence, qui a étudié de multiples scénarios, anticipe jusqu’à 170 000 demandes d’asile par mois à l’été, un niveau inédit depuis 2016.

à Paris, des tentes d’exilés dans des locaux de start-up

Face à la saturation des centres d’hébergement et aux expulsions de réfugiés hors de la capitale, des propriétaires privés, sensibles à leur situation, mettent temporairement leurs locaux vacants à la disposition d’associations d’aide aux migrants.

par Gurvan Kristanadjaja, publié le 10 avril 2023 dans Libération

C’est un grand duplex désaffecté de 500 m² au fond d’une cour pavée du XXe arrondissement de Paris. On y entre par une petite porte en bois qui donne sur un couloir exigu, au bout duquel sous les néons blafards d’une grande pièce à vivre… des dizaines de tentes ont été déployées. Lorsqu’on monte l’escalier, plusieurs autres abris sont installés entre quatre murs avec vue sur les terrasses voisines. Assis sur un matelas gonflable, Ali (1), un Ivoirien de 17 ans, mordille une cuisse de poulet. Il scrute autour de lui et plaisante : «C’est ici qu’on habite maintenant. C’est beau, hein ?»

Comme Ali, entre 70 et 80 jeunes étrangers en recours passent la nuit dans ces bureaux d’entreprise vides. Les lieux appartiennent à la start-up française de David Peronnin, fondateur de Clubfunding Group, spécialisée dans l’investissement participatif en immobilier. La jeune pousse fait partie du Next 40, un label conçu pour promouvoir 40 jeunes entreprises françaises considérées comme susceptibles de devenir des «leaders technologiques». Quand il passait dans l’Est parisien, à Stalingrad ou la Chapelle, le PDG de 39 ans s’inquiétait de voir ces jeunes migrants dormir à la rue. Des ados dans une «zone grise» de l’Etat français, selon les associations : à leur arrivée dans le pays, ils ont été soumis à un entretien d’évaluation sociale – comme tous les étrangers qui se déclarent mineurs – au cours duquel leur âge a été mis en doute, parfois par manque de documents ou pour des récits imprécis. La plupart contestent cette décision auprès d’un tribunal pour enfants mais, en attendant le jugement, ils sont laissés dehors, sans prise en charge et sans accompagnement. En y réfléchissant, David Peronnin y a vu une équation simple à résoudre : «D’un côté, j’ai des locaux vides parce qu’on veut les rénover bientôt et de l’autre, il y a des jeunes qui dorment dehors. Pourquoi ne pas leur en faire profiter ?» explique le chef d’entrepriseUne mesure de «bon sens» selon lui plutôt qu’un acte politique ou militant. Il s’est tourné vers Utopia 56, qu’il ne connaissait pas avant de s’intéresser à la question, et les deux parties se sont mises d’accord pour signer un bail temporaire jusqu’en juin, date du début des travaux. Une bouffée d’air pour les jeunes exilés.

Dans le milieu, lorsque l’on parle des «mineurs en recours», on sait ce que cela implique : des ados vulnérables qui dorment sur le bitume, sans leurs parents, sans aller à l’école, certains vivant avec une souffrance psychologique liée à leur histoire ou à leur exil. Une situation «injuste» et «inappropriée» selon Yann Manzi, le fondateur d’Utopia 56, qui les accompagne. «On accompagne plus de 300 gamins comme eux dans la rue en ce moment et plus de 50 % sont finalement reconnus mineurs à l’issue de la décision du juge pour enfants», regrette l’homme en fumant une cigarette roulée à l’extérieur. Ces derniers mois, les Jeux olympiques de Paris approchant, il a été de plus en plus difficile – voire impossible – pour ces ados de poser une tente dans la capitale. Il faut faire place nette. Leurs petits campements ont été à chaque fois expulsés par les forces de l’ordre et les exilés errent en bordure de Paris, sous des ponts ou dans des parcs où ils redoutent les bagarres et les vols. Quant aux hébergement d’urgence, « ils sont tous saturés », regrettent en chœur les jeunes hommes accueillis dans les locaux de Clubfunding Group.

«L’avantage c’est qu’ici, contrairement à la rue, ils ne seront pas expulsés par la police, se satisfait Yann Manzi. Ce n’est pas le grand luxe, mais c’est toujours mieux que le bitume. Une équipe fait des rondes la nuit pour s’assurer que tout se passe bien, on a mis quatre salariés sur le projet.» Clubfunding Group, de son côté, a engagé 30 000 euros de travaux environ pour mettre les lieux aux normes électriques. Le binôme association-propriétaire a aussi prévenu les voisins, la mairie, et les bénévoles ont dressé une liste de jeunes à appeler en fonction de leur ancienneté dehors. Le confort est rudimentaire : pas de douches mais des toilettes et un point d’eau à l’étage. Pour ne pas trop perturber la tranquillité du quartier, les lieux sont ouverts de 20 heures à 9 heures seulement. «On surnomme ça le 115 de la débrouille. Ça fonctionne plutôt bien : ça redonne de la dignité aux jeunes et à nous, les associations. On n’en pouvait plus d’être dehors. Depuis qu’ils sont ici, il faut voir comment ils ronflent les jeunes ! Ils avaient besoin de repos», s’amuse Manzi.

John (1) est arrivé en France le 19 janvier. Il est originaire du Liberia et affirme avoir 16 ans. Il rit fort : l’ado fait partie de ceux que les bénévoles voient peu parce qu’il rattrape le sommeil perdu durant les nuits d’errance. «Quand je suis arrivé en France, c’était horrible. J’ai passé un mois dehors, j’avais perdu tous mes documents sur la route. Tout ce que je voulais, c’était aller à l’école», se souvient-il, assis près d’une table où des jeunes dînent. Sa mère est décédée quand il était enfant, il a grandi avec son père, un fermier libérien, et sa belle-mère qui le battait. John est parti en quête d’une «vie meilleure», celle qu’il imaginait en France, une terre de football, sa passion. Entre deux tentes, un autre éclat de rire fait grésiller le faux plafond. John regarde au loin. «Ici, je ne dirais pas que je suis heureux, mais c’est mieux que rien. J’attends mon recours et après on verra. Je veux être footballeur professionnel comme Mesut Özil. Et si je ne deviens pas footballeur, je veux être acteur», sourit-il avec fierté.

«Tout le monde est content»

Près de l’entrée, Abdoulie, un Gambien de 17 ans se tient raide. Il est arrivé dans la capitale il y a dix mois après avoir traversé la Méditerranée sur une petite embarcation depuis le Maroc. L’expérience reste un traumatisme dont il parle en mots-clés : «57 personnes. 17 janvier. Fuerteventura.» Le jeune longiligne rêve aussi de cette «vie en France», celle qui lui permettrait d’aller à l’école plus longtemps que les six années passées sur les bancs en Gambie et de soigner ses maux de ventre qui parfois le paralysent. Il montre son estomac gonflé. «J’espère avoir des traitements et trouver ce qui me fait mal. Pour me soigner, dormir avec un toit au-dessus de sa tête c’est mieux», estime Abdoulie. Dans ces lieux, même précaires, il peut aussi conserver ses documents médicaux dans sa tente sans avoir peur de se les faire voler. Un luxe inestimable pour les jeunes à la rue.

«Il y a plein de locaux vides à Paris. Si ça se passe bien, il suffit de trois ou quatre endroits comme ça et plus personne ne dort dehors.»

—  Yann Manzi, fondateur de l’association Utopia 56

Les membres d’Utopia 56 envisagent cette expérience comme un tournant dans leur manière de venir en aide aux migrants. «Il y a plein de locaux vides à Paris. Si ça se passe bien, il suffit de trois ou quatre endroits comme ça et plus personne ne dort dehors», espère déjà Yann Manzi. Dans le sud de Paris, un lieu similaire a été mis à disposition en novembre par un autre propriétaire, cette fois à destination de familles. Le mystérieux bailleur, qui souhaite rester anonyme, lègue pour sa part un garage de 500 m² jusqu’en mai. Et l’expérience le montre déjà : «Tout le monde est content, tout se passe très bien.»

A quelques pas de l’Arc de triomphe, dans le très chic XVIIe arrondissement, près d’un hôtel de luxe, il faut s’engouffrer dans la rampe d’accès à un parking. Au premier étage, sous des fenêtres en PVC, de nombreuses mères sont assises dans leurs tentes. Les enfants courent dans les allées et d’autres femmes sont à la cuisine. En fin de journée, ceux qui ne trouvent pas de place au 115 se présentent sur le parvis de l’hôtel de ville, d’où Utopia les redirige vers ce lieu. Ce n’est pas le grand luxe non plus, mais les bambins ont l’air heureux et les adultes peuvent se reposer un peu. «Je faisais partie des gens qui avaient peur, car ça reste un hébergement précaire. Et au début, quand on arrive ici, on se demande “est-ce qu’on ne peut pas trouver mieux ?” Mais en fait, tu leur enlèves la faim, le froid, la peur, la solitude et la violence : c’est déjà énorme», constate Nikolaï Posner d’Utopia 56, le coordinateur parisien de l’association. Sous les toiles, on trouve ici aussi quelques sourires, comme ceux des trois jeunes filles de Berthe, 10, 7 et 4 ans qui serrent contre elles des peluches distribuées par l’association. La famille a fui la Côte-d’Ivoire où elles risquaient d’être excisées. En France depuis 2019, leur demande d’asile a été refusée. Ces dernières semaines, elles ont dormi tantôt dehors, tantôt dans des stations de métro, au risque de se faire agresser. Les filles sont déscolarisées. Dans le parking, leur avenir reste incertain, mais elles s’y sentent au moins en sécurité pour la nuit, en attendant mieux.

Pour David Peronnin, ces initiatives doivent interroger l’apport d’une entreprise au sein de notre société, au-delà de sa croissance et de sa productivité. «Nous bénéficions d’une période plutôt positive. Les chiffres sont bons, on a levé 125 millions d’euros, il nous arrive des choses positives. On est une entreprise qui a de l’ambition. Mais ce n’est pas pour autant qu’on ne peut pas prendre des initiatives un peu en marge de ce qui se fait», plaide le chef d’entreprise. Elles disent aussi en creux une forme de solidarité silencieuse nouvelle qui se met en place face aux difficultés croissantes que rencontrent les exilés dans l’Hexagone. «Si ça fonctionne bien, je m’adresserai aux professionnels de l’immobilier avec qui on travaille. Je sens qu’il ne faut pas grand-chose pour qu’ils puissent ouvrir leurs lieux vacants, peut-être pas pendant des années, mais déjà pendant quelques mois», devine-t-il. «On réfléchit. Il nous faut trouver un modèle de convention qui nous permette de rassurer les propriétaires et de pouvoir essaimer», estime de son côté Nikolaï Posner d’Utopia 56. Il faudra faire vite : les baux des deux lieux se terminant avant l’été, 150 ados, enfants et parents étrangers seront à nouveau à la rue dans la capitale.

(1) Son prénom a été changé.

« Nouvelle stratégie italienne » en mer Méditerranée

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/03/16/a-bord-de-l-ocean-viking-les-marins-sauveteurs-face-a-la-nouvelle-strategie-italienne-en-mer-mediterranee_6165787_3212.html

A bord de l’« Ocean-Viking », les marins sauveteurs face à la « nouvelle stratégie italienne » en mer Méditerranée

Un décret-loi controversé impose aux navires humanitaires de faire route « sans délai » vers le port qui leur a été assigné, sans possibilité de porter secours à d’autres migrants en détresse.

Par Nissim Gasteli, publié le 16 mars dans Le Monde

Les équipes de SOS Méditerranée secourent 84 personnes d’un canot pneumatique dans les eaux internationales au large de la Libye, le 14 février 2023.

La lumière matinale frappe les couvertures de survie dans lesquelles les rescapés se sont emmitouflés, le 14 février, faisant scintiller le pont de l’Ocean-Viking, le navire humanitaire de l’ONG SOS Méditerranée. La radio crépite : « A-t-on confirmation du nombre de personnes à bord ? » Au bout du fil, dans son uniforme rouge, Mattia (qui ne souhaite pas donner son nom de famille), chargé de protection pour la Croix-Rouge, s’active pour référencer les personnes secourues en mer. Armé de son smartphone, il note leurs âges et nationalités puis leur octroie un numéro permettant de les comptabiliser. « Nous avons 84 personnes, 8-4 personnes », annonce-t-il à la radio. « 8-4 personnes, bien reçu », lui répond instantanément Anita Zugarramurdi de l’autre bout du navire.

Assise à son bureau, à proximité de la table à cartes et du radar, la coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage note minutieusement l’information tout en sirotant son maté. Quelques heures plus tôt, vers 4 heures du matin, elle a été réveillée par l’officier de quart : un e-mail d’alerte envoyé par Alarm Phone, la ligne téléphonique d’urgence pour les migrants en mer, rapportait un cas de détresse à proximité. Après concertation avec le capitaine, le navire a dévié sa course vers la dernière position connue de l’embarcation, dans les eaux internationales au large de la Libye. Peu avant les premiers rayons du soleil, l’équipage a repéré le canot pneumatique dangereusement surpeuplé.

Tout au long de l’opération de sauvetage, Anita Zugarramurdi a tenu informées les autorités italiennes, maltaises et libyennes. Les rescapés sont principalement originaires d’Afrique de l’Ouest. Ils ont des visages jeunes, parfois enfantins : 58 d’entre eux sont des mineurs non accompagnés. Certains montrent des signes d’hypothermie et de déshydratation, et ont été pris en charge par l’équipe médicale.

Vingt et un jours d’errance

Une fois la situation stabilisée, Anita Zugarramurdi demande que lui soit assigné un lieu sûr pour débarquer les rescapés. « Avant, les autorités nous gardaient en mer plusieurs jours ou semaines, jusqu’à ce que cela devienne invivable d’avoir plusieurs centaines de rescapés à bord », se remémore la navigatrice uruguayenne.

Ces tergiversations ont atteint leur paroxysme en novembre 2022, lorsque le gouvernement italien d’extrême droite de Giorgia Meloni a fermé ses ports à plusieurs navires humanitaires, dont l’Ocean-Viking. Après vingt et un jours à errer en mer Méditerranée – un record, se souvient-on à bord –, le bateau avait finalement été accueilli « à titre exceptionnel » par la France dans le port militaire de Toulon, occasionnant une brouille diplomatique entre les voisins transalpins. Les autres furent finalement reçus à Catane (Sicile) à l’issue d’un long bras de fer.

Les rescapés tentent de se réchauffer après avoir été secourus par l’« Ocean-Viking » au large de la Libye, le 14 février 2023.

Depuis, Rome a revu ses méthodes : l’attribution d’un « port sûr » est désormais plus diligente, mais aussi plus contraignante. A peine une demi-heure après l’envoi de sa requête, l’Ocean-Viking reçoit une réponse du centre italien de coordination et de sauvetage. Dans la salle à vivre du bateau, les équipes qui ne sont pas d’astreinte sont dans l’expectative. Quand Anita Zugarramurdi déboule dans la pièce, le suspense est à son comble. « Devinez où ils nous envoient cette fois ? », lance-t-elle d’un ton ironique. « Gênes ? », « Trieste ? », « La Spezia ? », tentent des membres d’équipage. « Ce sera Ravenne », annonce finalement la coordinatrice des opérations.

Pour rallier ce port commercial de la région d’Emilie-Romagne, où il a déjà accosté un mois plus tôt, l’Ocean-Viking va devoir entreprendre un long voyage de plus de 1 600 kilomètres à travers les mers Méditerranée, Ionienne et Adriatique. Quatre jours de navigation et autant pour le retour, durant lesquels le navire sera éloigné de son aire d’opération. L’objectif est de « décongestionner les ports de Calabre et de Sicile » auxquels les ONG étaient habituées, expliquait en janvier le ministre de l’intérieur, Matteo Piantedosi, artisan de cette nouvelle stratégie.

« L’impact pour nous, c’est bien sûr une augmentation des coûts », explique Anita Zugarramurdi. « Selon nos prévisions, notre budget carburant risque de doubler sur l’année, détaille Carla Melki, la directrice adjointe aux opérations, présente à bord quelques jours plus tôt. Cela représente 1 million d’euros en plus. »

Sauvetages multiples empêchés

Peu après, le navire met le cap vers Ravenne. Un décret-loi controversé impose désormais aux navires humanitaires de faire route « sans délai » vers le port qui leur a été assigné. Tout contrevenant s’expose à des amendes allant jusqu’à 50 000 euros et à une détention administrative du bâtiment. Jusque-là, dans l’attente d’une réponse des autorités, les navires restaient généralement au large de la Libye. Si d’autres cas de détresse se présentaient, ils leur portaient aussi assistance. Ces sauvetages multiples sont désormais empêchés.

Pour Anita Zugarramurdi, « l’objectif est clair : maintenir les navires le plus loin possible de la Méditerranée »

A mesure que le navire s’éloigne de la zone de recherches, l’émotion laisse la place à la frustration. Les mines des marins sauveteurs se crispent. « Ça y est, un sauvetage et on remballe », souffle l’un d’eux, jetant sa combinaison encore trempée. « Avant, on avait l’habitude d’en faire plusieurs, parfois six, sept, huit d’affilée. On enchaînait », explique Lucille Guenier, chargée de communication à bord. « La nouvelle stratégie italienne est la dernière tentative d’un gouvernement européen d’entraver l’assistance aux personnes en détresse, répond Anita Zugarramurdi. Pour moi, l’objectif du nouveau décret est clair : il s’agit de maintenir les navires de la flotte civile le plus loin possible de la Méditerranée. »

Les naufragés débarquent de l’« Ocean-Viking » dans le port de Ravenne, en Italie, le 18 février 2023.

En janvier, alors qu’il faisait route vers La Spezia à la suite d’un premier sauvetage, le navire Geo-Barents, de Médecins sans frontières (MSF), a été informé de deux autres cas de détresse et les a secourus. Il avait échappé aux sanctions, mais un mois plus tard, lors du débarquement de 48 personnes au port d’Ancône, le bateau a écopé de vingt jours de détention administrative et de 10 000 euros d’amende pour n’avoir pas transmis aux autorités locales les informations de l’enregistreur de données de voyage, comme l’y oblige le nouveau décret.

Pour l’Ocean-Viking, aucun sauvetage multiple ne s’est encore présenté, mais Anita Zugarramurdi est catégorique : « Si d’autres cas de détresse se présentent après un sauvetage, nous ne quitterons jamais la zone. Au-dessus de tout gouvernement, il y a le droit maritime. » 

La convention d’accès au droit

La convention d’accès au droit : en partenariat avec les associations, depuis novembre 2022, le bus d’accès au droit de l’université catholique de Lille, le CNB et les barreaux de Lille et Boulogne sur Mer proposent une permanence avec un.e avocat.e en droit des étrangers à Calais (le CNB finance la venue de l’avocat.e et son temps de permanence depuis novembre 2022 et pour l’année 2023). Cet.te avocat.e a un droit de suite ! Il peut prendre le dossier d’une personne. Cette permanence est prévue dans une convention multipartite, qui reprend des modalités d’une précédente convention qui avait été co-construite en 2016 avec les CDAD du Nord et du Pas de Calais, les associations, les barreaux, l’école d’avocat.e.s de Lille, etc, et qui est maintenant éteinte. Dans le cadre de cette même convention, sont prévues une permanence de seconde ligne téléphonique pour répondre aux questions des associatifs et solidaires. Dans le futur, il y aurait aussi une permanence 1 fois par semaine avec le bus d’accès au droit et un.e avocat.e dans le Dunkerquois. Ce qui est également prévu, c’est l’embauche tous les 6 mois d’un.e élève avocat.e pour soutenir les permanences juridiques également dans le bus juridique. La convention prévoit aussi de la formation pour les avocat.e.s des différents barreaux, mais aussi des associatifs, on vous tient informé.e.s pour les formations prévues